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Leur société
Sport fiction : Comment le tour redevint " propre " en 2012
En 2007, le Tour avait failli périr sous les scandales liés au dopage. Le favori, puis le maillot jaune lui-même, avaient dû se retirer de la course. À la fin, le Tour s'était effiloché et beaucoup s'étaient demandé s'il arriverait jusqu'aux Champs-Élysées et s'il allait continuer les années suivantes. La solution de la crise passait, apparemment, par une lutte énergique pour maintenir un Tour propre, débarrassé de ces affaires. Sinon le public risquait de se désintéresser de l'épreuve. Et les sponsors, les publicitaires divers et variés, les chaînes de télévision, tous ceux qui profitaient réellement du Tour, ne l'entendaient pas de cette oreille.
Mais tous ces gens-là savaient que contre le dopage le combat était perdu d'avance. Car pendant qu'on mettait péniblement au point un système de contrôle pour un produit dopant, l'industrie pharmaceutique mettait sur le marché de nouvelles molécules utilisables dans la course à la performance. Les contrôles avaient, et auraient toujours nécessairement, un temps de retard sur les procédés ou les substances dopantes.
La solution apparut sous une forme inattendue, par le biais d'un éditorial d'un grand quotidien sportif dont le titre résumait le contenu : " Et si on légalisait le dopage ? " Cette proposition provoqua évidemment un tollé. Mais un peu plus tard, un député de la majorité déposa un projet de loi et prononça un discours très remarqué : " Mesdames et messieurs, déclara-t-il, ce n'est pas tant le dopage qui fait courir des risques aux coureurs, que le dopage sans surveillance médicale, ou alors sous la pseudo-surveillance de médecins-charlatans. C'est pourquoi je fais la proposition de créer une autorité médicale indépendante qui contrôle la préparation des coureurs et la course elle-même. "
L'idée fit son chemin. Ainsi le Premier ministre, lors d'une interview à la télévision, déclara, à propos de ce projet, qu'il s'agissait d'une éventualité intéressante, qui pourrait peut-être même s'appliquer à d'autres sports que le cyclisme. Interrogé sur le sujet, le ministre de la Santé se contenta de dire que la légalisation du dopage n'était pas à l'ordre du jour, mais qu'il fallait uniquement créer une autorité de surveillance, afin de protéger les coureurs contre eux-mêmes.
Début 2008 fut mis sur pied le CESSPDFE, " Comité d'Ethique pour la Surveillance des Substances et Procédés Destinés à Faciliter l'Effort ". On était sur la bonne voie.
Le Tour de France 2008 prit le départ dans un climat de morosité générale, mais il partit. Le dopage y était aussi présent que d'habitude, mais grâce à la surveillance et à la bénédiction du CESSPDFE, personne ne fut exclu pour dopage. Quelques coureurs refusaient certes de se doper et se retrouvèrent complètement largués. Leur comportement fut qualifié " d'archaïque " par le directeur du Tour.
Fin 2008, le ministre de la Jeunesse et des Sports déclara : " Nous ne devons plus nous voiler la face. Ne soyons pas hypocrites : le dopage a toujours existé et existera toujours. L'assainissement du sport passe inéluctablement par la légalisation et le contrôle du dopage. Contrairement à l'opposition qui s'accroche, selon ses habitudes, à un comportement passéiste et dogmatique, nous ne devons pas hésiter à être innovants. Dans le domaine du sport, comme pour l'ensemble de la société, l'heure est plus que jamais à la rupture. " II déposa, au nom du gouvernement, un projet de loi de " légalisation des procédés d'aide à l'effort ". Cette loi fut adoptée par la majorité à l'Assemblée. L'opposition s'abstint.
Lors du Tour 2009, il n'y eut plus aucun problème concernant le dopage : tous les coureurs étaient dopés et ne s'en cachaient plus. Les commentateurs sportifs n'hésitaient plus à dévoiler les substances et les procédés que tel ou tel coureur utilisait. Le Tour fut équilibré : tous les coureurs avaient absorbé autant de substances diverses et variées les uns que les autres.
Il y eut tout de même quelques soucis : lors du Tour 2010, sous l'effet de la sueur du vainqueur, on ne sait pourquoi, le maillot jaune devint rose pâle à l'issue d'une étape de montagne. Et la même année, un des coureurs fut pris d'une crise de folie soudaine : il enfourcha, une nuit, son vélo et s'élança complètement nu, en refaisant, à l'envers, l'étape qu'il avait parcourue la veille. Il ne fut arrêté qu'après 120 kilomètres d'échappée nocturne et solitaire.
En 2011, nouvelle innovation, en plus des sponsors traditionnels, les Rabobank, Cofidis, et autres Française des Jeux, on vit pour la première fois les maillots des coureurs arborer le nom de laboratoires pharmaceutiques. Malheureusement, deux coureurs de moins de vingt ans moururent à l'entraînement. Le comité d'éthique qui veillait sur le Tour déclara qu'il fallait considérer ces hommes comme des " martyrs de la recherche scientifique ".
Devenue un marché important, " l'aide à l'effort " amena de nouvelles formes de la publicité pharmaceutique, avec des slogans comme " La petite piqûre qui vous propulse vers les plus hauts sommets " ou " Ne vous faites pas de mauvais sang, avec notre EPO, vos résultats seront excellents. "
En novembre 2012, un laboratoire chinois déclara que l'administration de substances nouvelles " d'aide à l'effort " avait permis à des ouvrières d'une usine de composants électroniques de travailler 16 heures de suite, et cela durant deux mois. Une seule équipe faisait ainsi le travail de l'équipe du matin et de celle de l'après-midi. Pour ce travail doublé, le patron avait accordé une augmentation de salaire de 20 %. C'était une opération " gagnant-gagnant", déclara-t-il.
La nouvelle fit le tour du monde. Il fallait s'aligner sur la Chine affirmèrent les dirigeants du Medef, faute de quoi il deviendrait impossible d'empêcher les délocalisations. L'année 2012 s'acheva donc sur une remise au goût du jour du fameux slogan ainsi remanié : " Dopez-vous plus pour gagner plus ! "
Le Tour 2007 était décidément bien loin.