Les allocutions d'Arlette Laguiller : Samedi 26 mai01/06/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/06/une2026.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les allocutions d'Arlette Laguiller : Samedi 26 mai

Travailleuses, travailleurs,

Eh bien oui, je reste fidèle à cette expression, bien que tant de journalistes la trouvent vieillie, ringarde ! Comme si commencer ses discours par " Françaises, Français " ou par " Citoyennes, citoyens " était plus moderne ! Mais si je n'utilise jamais ces dernières expressions, c'est surtout qu'elles dissimulent la réalité sociale. Elles dissimulent le fait que tous les citoyens ne sont pas égaux ou, comme le disait l'écrivain George Orwell, " il y en a qui sont plus égaux que d'autres ".

Il y a des riches, il y a des pauvres. Il y a ceux qui vivent de leurs capitaux, dont on dit que leur argent travaille pour eux. Mais en réalité ce sont les ouvriers, les employés qu'ils exploitent qui travaillent pour eux.

Eh bien nous, Lutte Ouvrière, nous ne prétendons pas défendre les intérêts de tous les citoyens. Ce n'est pas possible, car ces intérêts sont contradictoires. Ceux qui affirment défendre les prétendus intérêts de tous les Français ne défendent que les intérêts des privilégiés. Notre choix fondamental c'est de nous placer du point de vue des intérêts des travailleurs, de ceux qui n'ont que leur salaire pour vivre quand ils ont un emploi et qui sont dans la misère quand ils n'en ont plus.

Créer un parti qui soit réellement au service des intérêts politiques, présents et à venir, de l'immense camp des travailleurs

Il est à la mode aujourd'hui de prétendre que la classe ouvrière a disparu et qu'il est plus judicieux de parler de " classes moyennes ", en y mélangeant aussi bien des commerçants, des petits patrons que ceux des travailleurs qui ont un emploi stable. D'autres parlent de l'émergence d'une nouvelle classe ouvrière, dont les éléments les plus combatifs seraient les jeunes précaires, parfois tout à la fois étudiants et travaillant chez McDo ou à la Fnac.

C'est certain, depuis Marx la classe ouvrière, qui s'est accrue en nombre, s'est aussi diversifiée. Aux ouvriers de l'industrie, industrie elle-même diversifiée, s'ajoutent une multitude de catégories, des caissières de supermarché aux techniciens de laboratoire, des postiers aux infirmières, des chauffeurs de car aux standardistes de plateforme téléphonique, des conducteurs de locomotive aux informaticiens.

Et puis, on a su inventer des désignations destinées à badigeonner de rose la condition ouvrière : on ne parle plus de " manoeuvre ", au bas de l'échelle dans une usine, mais d'" agent de production ". Et le balayeur de l'atelier comme les travailleurs des entreprises de nettoyage - où l'exploitation est souvent féroce - se sont vus gratifiés du titre ronflant de " techniciens de surface " ! On a su gommer aussi ce qui, dans la hiérarchie de l'entreprise, fleurait bon le caporalisme : le chef du personnel est devenu DRH, " directeur des ressources humaines ".

Bien sûr, le salaire d'un ouvrier sur une chaîne d'usine d'automobiles n'est pas le même que le salaire d'un ingénieur aéronautique d'Airbus. Et, malheureusement, le sentiment d'appartenir à une catégorie, avec ses revendications spécifiques, est souvent plus fort que le sentiment d'appartenir à la même classe sociale.

Pourtant, toutes ces catégories ont en commun de vivre exclusivement de leur salaire, sans exploiter personne. Et c'est grâce à leur travail collectif que l'économie fonctionne, que les usines tournent, que les trains roulent, que les avions volent, que la production sort.

En produisant des biens et des services pour la société, ils produisent aussi du profit pour le compte d'une minorité capitaliste. (...)

Seule la classe des travailleurs a les moyens de réaliser la transformation radicale de la société

Notre choix fondamental de défendre les intérêts politiques des travailleurs salariés n'est pas seulement motivé par le fait que c'est une classe sociale opprimée et exploitée, une classe qui, tout en produisant tout, ne bénéficie que d'une petite fraction des fruits de son travail.

Notre choix repose plus encore sur la conviction que c'est cette classe sociale qui, par son nombre et par sa place au coeur même de la production, a la capacité de mettre fin à l'organisation sociale actuelle, basée sur l'exploitation.

L'économie capitaliste n'est pas seulement injuste. La concurrence, la rivalité pour le profit, sont aussi à la base d'un fonctionnement chaotique, marqué par des crises économiques, par des krachs financiers. Tout cela représente un gâchis effroyable, un gaspillage inouï du travail humain.

C'est tout le développement de la société humaine qui est emprisonné, freiné, brisé par des structures capitalistes et par l'impérialisme qui en dérive, et qu'on affuble du nom de " mondialisation ".

Seule, la classe des travailleurs a les moyens de réaliser la transformation radicale de la société et de permettre à l'humanité de franchir cette étape formidable de son histoire que sera la disparition de l'exploitation, de la concurrence, du profit et tout ce qui en dérive : les crises économiques comme l'impérialisme et le sous-développement.

Pour jouer ce rôle, et même pour se défendre efficacement, il faut cependant que les travailleurs, par-delà leurs catégories et, bien sûr, par-delà leurs origines et leurs nationalités, aient conscience de faire partie d'une même classe sociale, ayant les mêmes intérêts matériels et politiques.

Cette conscience collective a marqué l'histoire du mouvement ouvrier. Elle a émergé d'une succession de luttes. Cette conscience collective n'était pas suspendue en l'air. Elle était perpétuée, cultivée et transmise par les organisations que les travailleurs avaient su se donner, des organisations politiques qui se revendiquaient du socialisme ou du communisme, ou des organisations syndicales à l'époque où elles mettaient sur leur drapeau non seulement la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, mais aussi leur émancipation et le changement social.

Cela fait bien longtemps cependant que ces organisations ont cessé de jouer leur rôle. Le Parti Socialiste comme le Parti Communiste sont devenus des partis au service de la bourgeoisie, même si leur électorat se recrute dans les classes populaires. Ils ont cessé de transmettre la culture et les valeurs du mouvement ouvrier, pour propager les mêmes valeurs que leurs concurrents de la droite.

Et si, depuis tant d'années, la classe ouvrière recule devant l'offensive de la bourgeoisie, c'est bien sûr en raison de la situation objective, de la crise économique et du chômage qui affaiblissent la position du monde du travail face au grand patronat et ses laquais politiques. Mais c'est aussi parce que, faute d'un véritable parti représentant ses intérêts politiques, le monde du travail est désarmé.

Les principaux problèmes qui frappent aujourd'hui les classes populaires, le chômage de masse, la baisse du pouvoir d'achat, notamment, viennent du fait que le capital financier, que les conseils d'administration ont un pouvoir dictatorial sur l'économie et qu'aucune de leurs décisions n'est motivée par l'intérêt de la société, mais qu'elles sont seulement motivée par la volonté de dégager le profit maximum pour leurs actionnaires.

L'écrasante majorité de la société souffre de la mainmise, sur la vie, de la finance et de ses lois. Mainmise pour laquelle le patronat n'a pas besoin d'être élu à la tête du pays. D'une part, son poids économique le rend plus puissant que le gouvernement. D'autre part, il est toujours représenté à la tête de l'État, aussi bien par la droite que par la gauche gouvernementale.

La seule force sociale qui pourrait contrôler le fonctionnement des entreprises, le fonctionnement de l'économie, et limiter la puissance des financiers et de leurs conseils d'administration, ce sont les salariés des grandes entreprises, des banques, des organismes financiers, de la grande distribution. Ces salariés sont concentrés précisément dans les lieux où les profits se créent par leur travail. C'est-à-dire qu'ils se trouvent en permanence dans les lieux où le contrôle sur toute la vie d'une entreprise est le plus facile.

La renaissance d'un véritable parti ouvrier est nécessaire, et elle est possible. Ce parti ne se créera pas par de seuls programmes ou proclamations. Il surgira des luttes ouvrières elles-mêmes. Et ces luttes, elles se produiront inévitablement car les travailleurs ne pourront pas laisser leurs conditions se dégrader d'année en année. Mais un tel parti ne surgira de ces luttes que s'il y a des militants présents dans ces luttes, capables de gagner la confiance des travailleurs qui les entourent et de donner corps à cette volonté.

Notre perspective, notre choix

Se présenter aux élections n'est pas un but en soi. Les élections sont un piège car les travailleurs n'ont pas les moyens de se faire entendre en tant que tels. En revanche, elles permettent de mettre à profit une relative liberté de parole pour s'exprimer à l'échelle du pays, pour défendre des idées et pour les faire connaître. (...)

Ces idées ne sont pleinement entendues que dans des périodes de crise sociale. Ces périodes sont rares dans l'histoire. (...) En dehors de ces périodes, cette aspiration est limitée à un petit nombre, quand elle ne disparaît pas complètement. Dans la vie sociale et politique, il y a des hauts et des bas. (...) Mais ces hauts et ces bas dans la combativité et dans la conscience ouvrières ne nous feront pas changer d'idées et de programme. Bien au contraire ! C'est peut-être dans les périodes de recul, où tout le monde est à la recherche de la pierre philosophale, où il est si tentant de s'adresser à des couches, à des catégories qui semblent plus réceptives dès lors qu'on va dans le sens de leurs intérêts catégoriels, qu'il est vital de garder le cap et de défendre les idées.

Notre résultat à l'élection présidentielle a été faible. Il n'a à vrai dire jamais été très élevé, ne serait-ce que parce que nous sommes une organisation qui n'a pas de militants partout dans le pays. Cette fois-ci, nous avons perdu les deux tiers de nos électeurs entre 2002 et 2007.

Mais nous ne chercherons pas pour autant, entre la présidentielle et les législatives, à nous adresser à d'autres qu'à notre camp, celui des travailleurs. Comme nous ne chercherons pas non plus à parler de thèmes qui sont plus à la mode mais qui négligent les problèmes essentiels des classes populaires.

Ce que nous avons à dire

Ce que nous avons à dire, c'est que les travailleurs n'ont rien à espérer des résultats de ces législatives et, plus généralement, que les bulletins de vote permettent au mieux d'exprimer des idées, mais jamais de changer le monde.

Ce que nous avons à dire, c'est que les travailleurs ne peuvent contraindre la bourgeoisie et son gouvernement à mettre fin au problème dramatique du chômage, à l'effondrement du niveau de vie ou à la disparition du logement populaire que par des luttes amples, déterminées, conscientes.

Ce que nous défendrons dans cette campagne électorale, ce sont bien sûr un certain nombre de revendications immédiates du monde du travail, comme le rattrapage du pouvoir d'achat perdu au fil du temps, la suppression de toutes les mesures anti-ouvrières prises par les gouvernements successifs et de celles que le gouvernement Sarkozy s'apprête à prendre. Et puis, il faut une augmentation conséquente et sélective des impôts, afin que la classe riche paie de quoi donner plus de moyens à l'État pour créer des emplois utiles dans les services publics et l'arrêt de toute aide au grand patronat, afin qu'avec cet argent l'État puisse construire les logements sociaux qui manquent.

Mais, au-delà de ces revendications immédiates, l'objectif principal que nous aurons à défendre, c'est l'idée qu'il faut que la population travailleuse impose un contrôle sur les entreprises, sur leur comptabilité, sur leur stratégie comme sur leurs décisions quotidiennes. Et le premier pas dans cette direction, c'est supprimer toutes les lois qui protègent le secret commercial, le secret bancaire, le secret industriel, derrière lesquels les patrons et les conseils d'administration préparent tous leurs mauvais coups contre les travailleurs et la société. Il faut qu'au pouvoir, aujourd'hui discrétionnaire, du grand capital et des conseils d'administration, s'oppose un contre-pouvoir venant des travailleurs et de la population.

Ce n'est pas le programme d'une révolution, mais c'est une revendication essentielle lors d'une lutte générale. Car ce serait un changement déterminant du rapport de force social et politique entre la population laborieuse et la bourgeoisie. (...)

Partager