Les allocutions d'Arlette Laguiller : Lundi 28 mai 200701/06/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/06/une2026.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les allocutions d'Arlette Laguiller : Lundi 28 mai 2007

L'élection présidentielle a donné lieu à une débauche de discours patriotiques, voire chauvins. De la part de Le Pen, c'est naturel. Ce démagogue d'extrême droite a bâti sa carrière politique sur la méfiance et la haine à l'égard de l'étranger, et plus spécialement à l'égard des travailleurs immigrés qui vivent et travaillent en France.

Il en va de même pour Sarkozy. Pour prendre à Le Pen une partie de son électorat, il a repris ses arguments les plus réactionnaires, les plus stupides et les plus éculés.

Mais, au fil de la campagne, Ségolène Royal s'est alignée à son tour sur le même terrain. Bien sûr, la Marseillaise et le drapeau tricolore dont elle a chanté les louanges ont été les symboles d'une révolution. Mais c'était il y a deux cents ans et, depuis, ce drapeau est devenu l'emblème de la bourgeoisie française. Et l'État de cette bourgeoisie, devenue impérialiste, est allé imposer les intérêts de ses capitalistes et de leurs affaires aux quatre coins du monde par le fer, le feu et la torture. Le drapeau tricolore a alors été celui de guerres de conquête, celui de l'oppression coloniale, celui du pillage d'une grande partie de l'Afrique et de plusieurs pays d'Asie pour le compte de la bourgeoisie française.

Un des aspects les pires de cette actuelle débauche de nationalisme, c'est qu'elle creuse l'opposition entre ceux qui sont nés en France et ceux qui n'y sont pas nés.

L'immigration est transformée par la démagogie politicienne en menace terrible pour la population française. Mais toute l'histoire de l'humanité est faite de migrations et de mélanges ethniques ! Et le développement capitaliste les a accentués dans des proportions colossales.

En transformant les paysans en prolétaires, le capitalisme les a déracinés en même temps. Plus le capitalisme se développait, plus il attirait la population des campagnes vers les centres industriels. Les prolétaires ont toujours été des expatriés.

Il y a un siècle, ils étaient les expatriés de leurs villages, de leurs régions, venant du Limousin, de la Creuse, de Bretagne ou de Savoie. Puis, ceux-là intégrés, sont arrivés ceux venant de plus loin, d'Italie, de Pologne, d'Espagne et du Portugal. Après eux, ou en même temps, sont arrivés ceux de l'empire colonial, des Vietnamiens, des Africains, des Maghrébins. Il faut noter qu'en France, après la Deuxième Guerre, la Régie Renault, avant d'envoyer des recruteurs au Maroc, avait fait venir de nombreux travailleurs de Bretagne, d'ailleurs un peu isolés à Billancourt.

Aujourd'hui, les travailleurs des grandes entreprises en France viennent de partout : à ceux des anciennes colonies françaises se sont ajoutés ceux de Turquie, de l'ex-Yougoslavie, du Pakistan, de Ceylan, du Bengladesh...

C'est le capitalisme qui en a fait des prolétaires, ce sont les grandes entreprises qui ont mêlé dans un même creuset ceux qui travaillent sur les mêmes chaînes de production ou sur les mêmes chantiers. Les séparer artificiellement les uns des autres, les opposer, les pousser vers les repliements communautaires, est un des aspects les plus réactionnaires non seulement du discours d'extrême droite, mais aussi de la politique de tous les gouvernements. Ces gouvernements qui, les uns après les autres, ont établi des quotas, dressé des obstacles, fait voter des lois, qui n'ont jamais arrêté la migration, car la migration c'est la vie même de l'humanité. Mais ces obstacles ont contribué à créer ou à renforcer des préjugés qui sont à la fois stupides et réactionnaires mais qui, même lorsqu'ils ne prennent pas une forme violente, divisent le monde du travail et dressent ses composantes les unes contre les autres.

Il faut refuser tout cela ! Il faut sans cesse rappeler que, par-delà les origines, par-delà la nationalité, nous formons une seule et même classe ouvrière ! Et tous les travailleurs qui ont vécu une grève savent comment la lutte menée en commun fait émerger cette solidarité, ce sentiment qu'ensemble on peut l'emporter, qui est le propre de la classe ouvrière et qui en fait aussi la force.

Pour résoudre un prétendu problème de migration, celui en particulier de la misère et de la faim qui poussent des millions d'hommes et de femmes venant de pays pauvres vers les pays industriels, les politiciens, de la droite au PS, ont le cynisme de parler de co-développement.

Quel co-développement ?

Mais la France impérialiste et ses anciennes colonies d'Afrique vivent depuis longtemps en co-développement. Leurs liens historiques témoignent précisément que le seul co-développement possible, sous le règne du capital, c'est un co-développement où les colonies s'appauvrissent et les métropoleés s'enrichissent, où les unes sont pillées et les autres accumulent le butin de ce pillage. (...)

Et un des aspects les plus insupportables de l'évolution de l'impérialisme à notre époque, c'est qu'au temps des communications à la vitesse de la lumière, des déplacements rapides, au temps où les barrières de la distance sont progressivement supprimées, on dresse d'autres barrières entre les peuples. Et on en dresse en particulier entre les quelques régions privilégiées de la planète, les grandes nations industrielles, et la majeure partie pauvre de la planète. Des murs pour séparer les États-Unis du Mexique, des murs à Ceuta et à Melilla, enclaves espagnoles au Maroc, pour protéger l'Europe contre des Africains qui cherchent, pour survivre, à trouver du travail dans les pays développés d'Europe occidentale. Des mers, des océans ou même des fleuves qui, au lieu de constituer des liens entre les peuples, comme cela a été le cas bien souvent aux temps anciens, les séparent aujourd'hui. Des hélicoptères et des vedettes de la police pour empêcher des boat-people haïtiens d'accoster sur les côtes américaines, pour empêcher des Africains d'atteindre les côtes d'Espagne ou d'Italie.

Nous sommes fiers d'être internationalistes !

Nous sommes fiers d'affirmer que, sur cette planète, il n'y a qu'un seul peuple et qu'une seule humanité. Les intérêts des exploités et, au-delà, de tous les hommes, sont les mêmes d'un bout à l'autre de la planète.

Eh bien oui, être communiste, c'est être internationaliste. Pas seulement par attitude morale, par solidarité abstraite. Mais parce que la société future, celle qui s'édifiera sur les ruines du capitalisme, la société communiste, n'est possible qu'à l'échelle du monde. Les frontières et les barbelés d'aujourd'hui apparaîtront aux yeux de nos petits-enfants comme aussi barbares, aussi abjectes que le passé dont témoignent ces bâtiments de l'île de Gorée, au Sénégal, point de départ des bateaux d'esclaves, conservés pour rappeler à l'humanité la barbarie du trafic du bois d'ébène.

Eh bien, nous ne sommes pas sortis de cette barbarie. Elle a changé de forme, mais pas de contenu ! L'esclavage économique a remplacé un peu partout sur la planète l'esclavage tout court.

Oh, je sais bien que, dans nos pays développés, rapprocher le sort des travailleurs salariés de celui des esclaves apparaît comme une analogie hasardeuse et exagérée. Mais est-ce si exagéré, s'agissant de ces millions de prolétaires de pays pauvres, du Bengladesh, d'Abidjan, de Lagos ou de Port-au-Prince ?

Dans les pays impérialistes où se trouvent les sanctuaires du grand capital, celui-ci a accepté de concéder au prolétariat une vie un peu meilleure et une certaine protection contre les aléas de l'existence. Mais on voit bien, même dans ces pays riches, depuis plusieurs années, à quel point ces avantages sont aléatoires et susceptibles d'être remis brutalement en cause. Même dans les pays riches, la partie la plus pauvre du monde du travail est ramenée à des conditions d'existence qui se rapprochent de celles des pays les moins développés. Les cabanes autour du périphérique parisien n'ont pas grand-chose à envier à celles de Rio de Janeiro.

Mais dans combien de pays pauvres les prolétaires n'ont jamais connu d'autre existence que la misère, que les taudis, que la faim qui tenaille, avec pour seul espoir l'unique repas par jour pour soi-même et sa famille ? Dans combien de pays, pour que survive la famille, il faut que les enfants de dix ans ou moins travaillent, comme les enfants de Liverpool ou de Manchester à l'époque du capitalisme naissant ?

Mais ces prolétaires des pays pauvres, qui semblent parcourir avec retard le même chemin que la classe ouvrière d'Europe occidentale, n'ont pas en face d'eux les industriels du 19e siècle, mais le grand capital moderne, les mêmes grands groupes industriels et financiers qui exploitent aussi les travailleurs d'ici.

Eh bien, ce sont tous ceux-là, les nôtres, les travailleurs des villes industrielles de France et d'Europe certes, mais aussi ceux d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie !

Mondialisation ou impérialisme ?

Il est à la mode, depuis quelques années, de désigner par le nom de " mondialisation " cette réalité mondiale qui est marquée par la domination des trusts multi-nationaux sur le monde, par l'échange inégal, par la libre circulation des capitaux qui signifie surtout le libre pillage de la planète.

Mais c'est une expression impropre et qui dissimule plus qu'elle ne dit, et surtout qui conduit vers de faux objectifs. C'est une expression impropre car la mondialisation n'est vraiment pas nouvelle. Tout le développement du capitalisme s'est fait dans le cadre mondial. Et les pires aspects de cette mondialisation, la domination des grands trusts et des grandes puissances impérialistes sur le monde, sont là depuis plus d'un siècle. Mais surtout, ceux qui aujourd'hui font un drapeau de l'anti-mondialisation, ou de l'anti-libéralisme, n'ont rien d'autre à proposer, explicitement ou implicitement, que le retour à des frontières économiques fermées, à des droits de douane qui renchériraient tout ce qui se consomme à l'intérieur des pays, à un protectionnisme qui serait catastrophique pour les classes populaires.

Ce qui est à la base de l'inégalité fondamentale et des maux de l'économie mondiale d'aujourd'hui, ce n'est pas la mondialisation, c'est l'impérialisme ! Et on ne peut pas corriger ou réformer l'impérialisme, on ne peut pas l'améliorer, on ne peut que le détruire, en mettant fin au capitalisme, à l'organisation économique qui en est la base. (...)

L'impérialisme, ce n'est pas seulement le pillage de la planète par quelques centaines de grands groupes industriels et financiers. C'est aussi les guerres derrière lesquelles il y a pour ainsi dire presque toujours la concurrence, la rivalité entre ces grands groupes industriels, ou celle des États impérialistes qui les représentent. C'est aussi la guerre menée directement par les armées des puissances impérialistes en Irak ou en Afghanistan. Et, pour ce qui concerne l'impérialisme français, les guerres civiles, ouvertes ou latentes, en Côte-d'Ivoire, au Tchad ou en République Centrafricaine, sans même parler du Congo-Zaïre.

Tous les dirigeants politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, se retrouvent pour parler de l'importance de " la présence française dans le monde ". Mais derrière cette expression, il y a la préoccupation fondamentale de préserver les intérêts du grand capital français. La diplomatie sert à cela, mais il n'y a pas que la diplomatie, car c'est aussi à cela que servent les porte-avions, les sous-marins, les troupes que l'on stationne ou que l'on déploie en Afrique ou ailleurs. C'est sur les services publics, et donc sur la population laborieuse d'ici, que l'on prélève de quoi intervenir contre la population laborieuse en Afrique ou ailleurs. Ces intérêts étaient hier, au temps des colonies, ceux de Boussac, Lesieur ou Michelin. Aujourd'hui, ce sont ceux de Bouygues, Bolloré et compagnie.

Il serait long d'énumérer la liste de tous les conflits qui déchirent l'humanité. Mais tous les conflits qui durent portent, directement ou indirectement, les stigmates de la domination impérialiste sur le monde. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il n'y a pas une minute où les armes se sont tues sur l'ensemble de la planète.

Les puissances impérialistes ont joué un rôle majeur dans le fait qu'en Palestine, un peuple entier soit enfermé dans un camp de concentration, tandis qu'un autre peuple a été transformé en geôlier. (...)

Dans les conflits où l'impérialisme est directement impliqué, nous sommes, bien sûr, solidaires des peuples qui en subissent directement les coups.

Nous sommes aux côtés des opprimés contre les oppresseurs. Dans les cas des anciennes colonies africaines de la France, nous sommes pour le retrait des troupes françaises d'Afrique. Nous sommes pour le retrait des troupes des puissances impérialistes aussi bien d'Irak que d'Afghanistan. Nous sommes pour le droit du peuple palestinien à disposer d'un État et à ne pas subir l'oppression de l'État d'Israël.

Mais tout cela, ce n'est que de la solidarité élémentaire. Le véritable problème de l'avenir est l'existence même de l'impérialisme. Tant qu'il y a l'impérialisme, même si un foyer de tension s'éteint, il y en a un autre qui s'allume inévitablement. C'est à l'impérialisme lui-même qu'il faut mettre fin.

Mettre fin au capitalisme lui-même

Avec le recul politique de la classe ouvrière, bien des expressions ont été galvaudées, dénaturées. Les mots " anti-impérialiste " ou " anticapitaliste " sont devenus des mots-valises dans lesquels chacun peut mettre ce qu'il a envie d'y mettre, et parfois pas grand-chose.

Combien d'organisations nationalistes des pays pauvres se disent anti-impérialistes, alors qu'elles veulent seulement que l'impérialisme leur laisse le droit de prélever pour elles-mêmes une partie un peu plus grande sur l'exploitation de leurs propres peuples ?

Combien de courants réformistes des pays impérialistes se disent anti-impérialistes, alors que les partis qui les représentent, comme le PS en France, ont assumé la responsabilité politique de guerres coloniales ou de guerres d'oppression menées, sous leur direction, par leur propre impérialisme ?

Le seul moment dans l'histoire du siècle dernier où l'impérialisme a été réellement menacé a été lorsque le prolétariat russe a conquis le pouvoir politique, et qu'une de ses premières préoccupations a été de tendre une main fraternelle au prolétariat des autres pays pour fonder une Internationale afin que les prolétaires des différents pays, en combattant leur propre bourgeoisie, unissent leurs forces pour renverser le capitalisme à l'échelle internationale.

La Russie révolutionnaire est restée seule. Elle a dégénéré, donnant naissance à une bureaucratie antiouvrière. Un des indices majeurs de cette dégénérescence antiouvrière a été précisément le moment où les dirigeants de la bureaucratie ont commencé à parler de " socialisme dans un seul pays " et ont abandonné le combat, en dissociant le sort de la révolution russe de celui de la révolution internationale.

C'est dire que le combat contre l'impérialisme ne reprendra que lorsque la classe ouvrière aura retrouvé le sens de ses intérêts politiques, à court comme à long terme, c'est-à-dire lorsqu'elle se sera donné un véritable parti qui la représente.

Entre notre objectif de contribuer à la reconstruction d'un véritable parti ouvrier représentant les intérêts politiques et sociaux des travailleurs, un véritable parti socialiste, un véritable parti communiste, et le renversement de l'impérialisme, la distance peut paraître galactique.

Mais une fois que ce parti existe et que la classe ouvrière retrouve la conscience de son rôle dans la transformation de la société, alors les choses peuvent aller vite, très vite.

Alors, camarades, bonne fin de fête ! Et, la fête finie, il faudra reprendre nos activités, à commencer par la campagne des législatives. Nous avons à oeuvrer pour que nos idées, les idées de lutte de classe, les idées de l'émancipation des classes exploitées, les idées communistes, retrouvent le chemin de la classe sociale à laquelle elles sont destinées et qui, seule, pourra les réaliser : la classe des travailleurs salariés et leurs alliés éventuels.

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