Sale noël au Bouygménistan27/12/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/12/une2004.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Sale noël au Bouygménistan

La presse et la télé ont eu la dent dure contre le régime de Sapourmourad Niazov qui vient de mourir. Encore de son vivant, il avait fait ériger une immense statue plaquée or, de soi-même, pivotante avec le soleil, que le «président prophète» pouvait ainsi regarder toujours en face. Délires et mégalomanie. Mais surtout, régime féroce. Contre l'ensemble de la population: le dictateur avait entre autres fait fermer les bibliothèques et les hôpitaux jugés inutiles, voire nuisibles, et faisait réciter des versets de sa bible personnelle aux étudiants. Féroce plus particulièrement contre ses opposants, jetés par milliers dans des geôles abjectes et systématiquement torturés.

Ancien apparatchik soviétique nommé par Gorbatchev en 1985 à la tête du Turkménistan et de son parti communiste, il était devenu, avec l'ouverture de l'URSS au marché mondial, le champion de l'indépendance de sa république et surtout de la vente de son gaz, dont il plaçait une grande partie des revenus sur ses comptes personnels à l'étranger, en Allemagne notamment. Un pur produit de la mondialisation en quelque sorte.

Mais présidents et hommes d'affaires occidentaux entretenaient les meilleures relations avec ce tyran cousu d'or. Bouygues le premier, ce 24 décembre, perdait un Père noël qui 2000 ans après l'heureuse naissance, lui faisait encore bâtir des palais, des usines de marbre... et jusqu'au mausolée familial dans lequel le corps a été déposé lors des funérailles à Achkhabad.

Bouygues bénéficia des largesses du Turkmenbachi (père des Turkmènes), payées avec l'argent du gaz, la principale richesse du pays dont la population, l'une des plus pauvres de la région, ne voit pas un centime. En douze ans à peine, le bétonneur français a réalisé plus d'un milliard de commandes, rien qu'en construction d'édifices à la gloire du dictateur.

Certes il fallait se plier aux caprices du client, voire se faire tancer, comme en juin dernier Martin Bouygues, pour avoir «négligé la qualité» d'une coupole dorée de la grande mosquée, ternie en moins d'un an. Certes il fallait ruser, voire fabriquer cette vraie-fausse émission spéciale de TF1 à la gloire du dictateur, avec la participation du Pdg de Gaz de France et d'un directeur d'EDF, mais jamais passée à l'antenne... sauf au Turkménistan. Certes il fallait savoir fermer les yeux, et construire une «maison de la créativité» destinée aux journalistes dans la ligne, tandis que les autres crevaient en prison.

Mais la dictature avait tant d'avantages. Au Turkménistan, à part un personnel d'encadrement et quelques équipes techniques envoyées sur place et recluses dans leurs «bases de vie» gardées 24 heures sur 24, Bouygues exploitait à loisir les ouvriers indiens, pakistanais et turcs entassés dans des baraquements. Sans parler des ouvriers turkmènes. Sans parler des habitants d'Achkahad expulsés sans indemnisation pour laisser place aux chantiers: un préavis réduit à cinq jours pour éviter les manifestations, et arrivaient alors les engins de Bouygues, pour tout raser. L'entreprise de bâtiment française venait d'obtenir un nouveau contrat, de 90 millions de dollars pour la construction d'un palais du Conseil populaire, dont le contrat venait d'être signé... en grandes pompes entre Sapourmourad Niazov et Martin Bouygues. C'était le mardi 19 décembre, vieille de la crise cardiaque du client, manque de pot!

Les hommes politiques français fréquentaient eux aussi leur homologue turkmène. Dès 1992, lors du premier voyage d'affaires de Niazov en France, pour signer quelques contrats de béton, gaz et équipement de contrôle aérien avec Bouygues, Elf et Thomson, Mitterrand en personne, ainsi que Juppé et Pasqua, avaient tenu à le rencontrer. L'année suivante, Mitterrand se rendait au Turkménistan.

Et, concurrence oblige, en particulier pour le gaz turkmène, les trusts américains s'étaient également branchés, mieux même qu'Elf. Même si l'enclavement géographique du Turkménistan oblige encore à emprunter les gazoducs russes contrôlés par Gazprom. Même si le projet de gazoduc à travers l'Afghanistan, mis au point par un consortium de compagnies pétrolières, butte sur l'état de guerre permanente que connaît ce pays (et que la croisade américaine entreprise en 2001, avec l'aide de l'Angleterre, de la France et quelques autres, n'a fait qu'amplifier).

Le représentant du département d'État américain (son numéro2) était aux côtés du premier ministre Russe et du patron de Gazprom aux obsèques de Niazov. La banque d'investissement américaine Goldman Sachs s'est empressée d'alerter ses clients sur les craintes que cette mort ne mette «en question la stabilité du pays et le contrôle de ses substantielles exportations gazières».

Dites qui vous pleurez, on saura qui vous êtes!

Olivier BELIN

Convergences Révolutionnaires n° 48 (novembre-décembre 2006)

Bimestriel publié par la Fraction

Dossier: le «commerce équitable», mythe et réalités?

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