Les Démocraties populaires : Sous l’étiquette socialiste, des dictatures antiouvrières18/10/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/10/une1994.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Les Démocraties populaires : Sous l’étiquette socialiste, des dictatures antiouvrières

En 1956, la Hongrie était une de ces Démocraties populaires qui, s'étendant de la Pologne, au nord, à la Bulgarie, au sud, constituaient une sorte de glacis pour l'Union soviétique, sur sa frontière occidentale.

Elles avaient pour origine d'avoir été occupées, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par l'armée soviétique au fur et à mesure que celle-ci avait repoussé les troupes de Hitler. Elles avaient, surtout, pour originalité d'avoir été marquées par la suite, aussi bien dans leur régime politique que dans leur organisation économique, par la mainmise de la bureaucratie soviétique.

Fait militaire d'abord, l'intégration des pays de l'Est européen dans la zone d'influence de l'Union soviétique avait été consacrée par les accords dits de Yalta. Ces accords résultaient d'une conjonction d'intérêts entre la bureaucratie et les puissances impérialistes victorieuses, déterminées l'une comme les autres à empêcher que se produisent des explosions révolutionnaires comparables à celles qui avaient suivi la Première Guerre mondiale.

Au-delà des formes plus ou moins parlementaires entre 1944 et 1947, et malgré le rôle croissant que commencèrent à jouer dès cette époque les partis qui se proclamaient communistes, les régimes mis en place furent, sur le plan social, dès leur origine, des dictatures destinées à mater la classe ouvrière.

Malgré ce rôle de gendarme dans cette partie pauvre de l'Europe, lourde d'explosions sociales, le fait que le gendarme portait encore, aux yeux des classes sociales opposées, les marques de ses origines prolétariennes entraîna une série de conséquences. À commencer par la fuite éperdue vers l'Occident des classes possédantes et l'écroulement de fait, avant d'être de droit, des structures les plus surannées, en premier lieu la grande propriété foncière. Venues pour contenir une révolution ouvrière, les troupes de la bureaucratie contribuèrent cependant à l'accouchement d'une réforme agraire radicale et à quelques autres mesures de même nature qui, dans les pays de l'Occident développé, étaient le fait de la bourgeoisie.

C'est cependant avec la rupture de l'alliance entre les puissances atlantiques et la bureaucratie, au fil de l'aggravation de la Guerre froide, que se dessina le caractère original des Démocraties populaires par rapport à tous les autres États bourgeois de la partie semi ou sous-développée d'Europe.

Une fois écarté le spectre d'événements révolutionnaires, la bureaucratie n'eut pas l'intention de laisser échapper ces pays à son influence directe, sous l'attraction de l'impérialisme. Il résulta de cette volonté politique une pression croissante sur les sommets de ces États, pour remplacer les dirigeants politiques les plus pro-occidentaux par des dirigeants issus du PC, présumés plus favorables à Moscou. C'est la même nécessité politique de soustraire les Démocraties populaires à l'influence occidentale qui poussa la bureaucratie soviétique à leur imposer la coupure avec l'économie occidentale, l'étatisation complète de l'industrie et sa planification, la collectivisation forcée, reprenant aux paysans les terres qu'ils venaient d'obtenir.

Toutes les Démocraties populaires finirent, dans les années 1949-1950, par se donner des régimes singeant, parfois jusqu'à la caricature, l'URSS bureaucratique, avec des dirigeants prétendant exercer leur pouvoir dictatorial au nom du communisme et dans l'amitié indéfectible avec l'URSS.

Les dirigeants ouvertement pro-occidentaux éliminés, la bureaucratie soviétique allait s'en prendre aux dirigeants issus du courant stalinien eux-mêmes, décimés par les arrestations, les procès spectaculaires, suivis de lourdes condamnations. En Hongrie, c'est un des principaux personnages de l'État, le ministre de l'Intérieur Laszlo Rajk, qui fut exécuté après avoir avoué des crimes imaginaires.

Si l'histoire officielle retient de cette période surtout les noms des dirigeants politiques pro-occidentaux écartés du pouvoir et emprisonnés au fur et à mesure que Moscou renforçait son emprise sur ces pays, le poids de la dictature a pesé surtout sur les classes populaires, en particulier sur la classe ouvrière. Et, à partir des années 1948-1949, elle s'exerça au nom de la nécessité de construire le socialisme dans un environnement capitaliste hostile.

C'est au nom de la «construction du socialisme» qu'on imposa dans toutes les Démocraties populaires l'industrialisation à un rythme dément. C'est la classe ouvrière qui en porta le poids principal: les bas salaires, le ravitaillement défectueux, les journées «d'émulation socialiste», les normes de travail sans cesse plus dures et, pour imposer tout cela, l'enrégimentement dans les syndicats officiels uniques, l'absence de toute liberté dans les entreprises comme en dehors, la surveillance policière, les arrestations.

L'histoire montra par la suite que toute cette «accumulation primitive», acquise avec la peau et les souffrances des ouvriers et des paysans, finit par être bradée par les classes privilégiées autochtones aux grands groupes capitalistes occidentaux.

Cela ne s'accomplit complètement qu'après le changement de régime de 1989. Mais, déjà, dans ces années cinquante, les travailleurs pouvaient constater que, dans ces sociétés qui se voulaient égalitaires, il y en avait qui étaient nettement plus égaux que d'autres. Pendant que les masses circulaient en vélo ou en tramways bondés, elles pouvaient croiser les limousines noires des dignitaires et, aux boutiques désespérément vides des quartiers populaires, répondaient les magasins réservés des dirigeants. Les privilèges des plus favorisés de cette classe dirigeante n'étaient, en réalité, pas grand-chose à côté de la situation de la bourgeoisie en Occident. Mais le sentiment d'injustice, de révolte, était décuplé par le fait que ces privilégiés-là se prétendaient communistes, et ce sentiment joua un rôle majeur dans les explosions ouvrières qui secouèrent les Démocraties populaires, les unes après les autres.

Grèves violentes en Hongrie peu après la mort de Staline, en 1953, vite étouffées. Berlin-Est, la même année: grève des maçons de la Stalinallee, brisée par les chars russes. Grèves à Brno, en Tchécoslovaquie, en 1954. Emeutes ouvrières à Poznan, en Pologne, en juin 1956. L'insurrection en Hongrie fut l'étape ultime d'une succession de soubresauts protestataires venus essentiellement de la classe ouvrière.

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