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- Lutte ouvrière n°1993
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Tribune de la minorité
Si tu n'veux pas payer d'impôt, montre tes bateaux, montre tes tableaux, montre tes richesses...
Démagogie et injustice: ce sont les mots qui résument le mieux le projet de loi de finances qui va être soumis au parlement fin octobre, tout particulièrement en matière d'imposition.
Côté démagogie préélectorale, le gouvernement insiste sur sa revalorisation de la "prime pour l'emploi" dont le montant maximal passe de 714 euros en 2006 à 948 en 2007. Cette invention de la gauche, améliorée donc par la droite, est censée aider les "plus méritants" des pauvres, à qui l'on impose des boulots au rabais. Elle encourage les patrons à recourir à une main-d'oeuvre, même à un temps partiel, financée en large partie par l'État, et les dissuade (comme s'il en était besoin!) d'augmenter les bas salaires.
Le reste de la panoplie de mesures est réservé plus ouvertement aux riches. À commencer par la sempiternelle "baisse de l'impôt sur le revenu", lequel est érigé, au côté de l'impôt sur la fortune, en symbole de l'oppression fiscale. Ce n'est pourtant pas le pire des impôts ni le plus fort, puisque, réduit par rapport aux autres taxes au cours des réformes successives, il ponctionne seulement 3,2% de la richesse nationale, quand l'ensemble des prélèvements de l'État et des organismes de protection sociale en ponctionnent 44% (on est loin du libéralisme cher à Chirac et à ses ministres!).
Cet impôt sur le revenu est l'un des seuls prélèvements prétendument fondé sur une justice fiscale, puisque son taux est progressif. C'est en ce sens qu'il est trop lourd aux yeux des possédants, qui n'ont de cesse de chercher les moyens d'en venir à bout. La réforme annoncée l'an dernier et confirmée par le projet de budget actuel est un chef-d'oeuvre d'ingéniosité en la matière. On "simplifie ": moins de tranches, suppression de l'abattement de 20% pour les salariés, qui est intégré au barème. Et plus on simplifie, plus on le fait par le haut. C'est au sommet de l'échelle des revenus que sont les vrais gagnants: la dernière tranche d'imposition (dont le taux était déjà descendu sous Raffarin de 52,75% à 48,09%) est ramenée à 40%. Elle concerne la part du revenu imposable au-delà du 65559e euro. Pour un revenu de 10000 euros par mois, par exemple, la baisse commence à être honorable. Soulagement chez ceux qui gagnent plus de 66 "keuros", comme on dit dans les milieux qui ne comptent qu'en kiloeuros.
L'impôt sur le revenu serait-il en voie de disparition? Pas si sûr. Car ses petites soeurs, nées il y a quelques années, n'ont pas cessé de grandir. Elles répondent aux doux noms de "CSG" ou "RDS". Cachées au coeur de la fiche de paye, au beau milieu des cotisations, énigmatiquement qualifiées de "déductibles" ou de "non-déductibles", elles sont l'avenir de l'impôt: un impôt prélevé à la source, au taux totalement uniforme, qui ampute déjà les salaires d'environ 8%. Sus à l'impôt progressif, vive l'"impôt plat", c'est le mot d'ordre des nantis.
Tandis que le riche, flanqué de ses experts comptables et avocats spécialisés en "optimisation fiscale", soustrait ses revenus au fisc, légalement ou illégalement, le travailleur, lui, non seulement subit les prélèvements directs à la source (proportionnels au salaire) mais reçoit ensuite sa déclaration de revenu pré-remplie: pas un centime de son salaire n'échappe à l'oeil du percepteur. De plus, comme le pauvre consomme, proportionnellement à ses revenus, bien plus que le riche, c'est lui qui subit de plein fouet la TVA, le plus lourd de tous les impôts.
Inventé sous couvert de protéger ceux qui ont vu, contre leur gré, leur demeure à l'Ile de Ré prendre de la valeur, le "bouclier fiscal" entrera en vigueur dès janvier 2007. Il plafonne à 60% des revenus les impôts directs (impôt sur le revenu, de solidarité et sur la fortune). Fini l'impôt qui saigne le malheureux... propriétaire. Les impôts locaux, eux, qui touchent autant les locataires de HLM que les propriétaires de villas, ne cessent de grimper. Ils s'envolent notamment par le transfert, depuis quelques années, aux budgets des régions voire des communes, d'une partie des charges qui incombaient auparavant à l'État, sans que le gouvernement n'ait à en porter le chapeau.
Mais où va notre argent? Pas aux transports, dont le budget baisse de 5,3%, ni à la ville et au logement, - 2,6%. Pas à l'enseignement ni aux hôpitaux et autres services publics, puisque le nombre de fonctionnaires doit être réduit en 2007 de 15000 (dont 9000 enseignants), après des réductions de 4500 fonctionnaires en 2004, 7400 en 2005 et 5400 en 2006. Seule la police échappe à la purge, avec 1800 créations de postes prévues pour 2007.
L'État fait "un pas vers la vertu", jubile Le Figaro. Finie l'ère des "prélèvements confiscatoires" qui faisaient "fuir les talents". Les ventes de 4x4 explosent, les ports de plaisance sont saturés, l'industrie du luxe prospère.
Pendant qu'à force de cadeaux fiscaux, de dégrèvements, de subventions aux trusts, la dette publique se creuse et que le seul montant des intérêts équivaut quasiment au produit annuel de l'impôt sur le revenu.
L'État ne prend pas aux riches. Il leur emprunte... Et nous remboursons!