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- Lutte ouvrière n°1993
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Editorial
Ils s'y croient déjà.
Certains patrons se croient déjà revenus au temps du patronat de droit divin! Une caissière d'un supermarché Champion du quartier populaire de La Source, à Orléans, connue et appréciée de la population, vient d'être mise à la porte sans préavis ni indemnité, pour faute grave selon la direction. Elle travaille dans ce supermarché depuis vingt-six ans, depuis l'ouverture du magasin. Il lui est reproché d'avoir fait crédit à des habitants du quartier dans le besoin, érémistes ou chômeurs, qui ne pouvaient payer avant qu'ils touchent leur RMI ou leur allocation chômage.
Crime insupportable pour le gérant du magasin, manifestement couvert par ses supérieurs de cette chaîne de distribution qui, outre Champion, possède Carrefour et bien d'autres enseignes. La famille propriétaire de l'ensemble est une des plus grandes fortunes de France.
De tels licenciements, il y en a bien d'autres dans le pays, chaque jour. Mais cette fois, le licencieur, digne des patrons du XIXe siècle, est tombé sur un os car la population s'est mobilisée en faveur de la caissière. Pour une fois, la presse et la télévision en ont largement parlé. Et il n'est pas dit que l'indignation de la clientèle devant les méthodes de ce supermarché ne finisse pas par lui coûter cher.
Le patronat de la grande distribution s'est bien souvent illustré par ses méthodes d'exploitation particulièrement musclées. Pratiquement au moment même où Champion licenciait à Orléans, on apprenait qu'un autre grand magasin, le Leclerc de Montbéliard, s'était illustré dernièrement en séquestrant ses employés. Il voulait les empêcher de parler aux inspecteurs du travail venus contrôler le magasin en raison des heures supplémentaires impayées et des horaires de travail non respectés.
Mais si ces patrons de la grande distribution se singularisent dans la forme, ils ne se différencient pas des autres sur le fond.
Le comportement de la direction d'Airbus, pourtant dans un secteur de pointe, est tout aussi méprisant vis-à-vis de ses travailleurs. Les dirigeants de cette entreprise et de sa maison-mère, le trust EADS - dont un des patrons est Lagardère, une des vedettes de la grande bourgeoisie française - , ont fait de grossières erreurs de prévision, paraît-il, sur le câblage de ces super-avions que seraient les A380. Résultat, cet avion qui était censé damer le pion à Boeing, son rival dans la concurrence internationale, aura au moins deux ans de retard sur ses premières livraisons.
Et à qui s'apprête-t-on à faire payer les erreurs? Pas au conseil d'administration, pas aux actionnaires! Non, mais aux travailleurs de l'entreprise qui ne sont pour rien dans les erreurs faites mais qui sont menacés d'un plan de réduction des effectifs et, peut-être, de la fermeture de deux sites de production.
À ce qu'il paraît, l'approche des élections pousse l'État, également actionnaire d'EADS, à retarder la décision. Personne ne sait le nombre d'emplois que la direction supprimera, le nombre d'intérimaires dont elle se débarrassera, de sites qu'elle fermera. Elle se contentera, le jour venu, d'annoncer la décision aux travailleurs. Comme l'a fait il y a peu le PDG du trust PSA Peugeot-Citroën en annonçant la suppression de 10000 emplois.
Leurs méthodes peuvent être cyniquement provocatrices ou hypocrites, les patrons s'arrogent le droit de licencier, de fermer des entreprises, de polluer l'environnement, de délocaliser, sans se préoccuper de ce qu'il en coûtera à la société et sans avoir de comptes à rendre à quiconque.
Ils le font tout à fait légalement, sous la protection de l'État et de la justice, en vertu de la propriété privée des entreprises et des banques par une minorité de possesseurs de capitaux.
Contester cette dictature, imposer des limites à ce pouvoir arbitraire, est une nécessité sociale, une nécessité tout simplement humanitaire.
Arlette LAGUILLER.
Éditorial des bulletins d'entreprise du 9 octobre.