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À propos du film Indigènes : La «libération»... mais pas pour les colonies
La sortie du film Indigènes a été l'occasion, en plus d'une promesse de revalorisation tardive des pensions des anciens combattants, d'un flot de déclaration sur la «Libération» de la France et la part qu'y ont jouée ces soldats originaires des colonies françaises.
«Nous savons tout ce que nous devons à l'engagement et au courage de ceux qui ont défendu notre patrie et ses idéaux dans les conflits du XXe siècle», a affirmé le Premier ministre. Le journal du PS a écrit quant à lui: «Hommes d'Algérie, du Maroc, du Sénégal, ils ont versé leur sang pour sauver la patrie française des affres du nazisme.» L'éditorialiste de l'Humanité, le quotidien du PCF, affirme pour sa part que le film permet de «redécouvrir le sens de la devise nationale pour laquelle les indigènes étaient envoyés au front, Liberté, Égalité, Fraternité». L'ensemble de la presse et des commentateurs ont été à l'unisson: 200000 hommes seraient partis des colonies pour aller défendre la mère-patrie, la démocratie, la liberté.
Quelle démocratie et quelle liberté, puisque ces hommes, «colonisés» par la France, étaient privés par elle de tous les droits élémentaires? Quelle mère-patrie, puisque leur terre natale était occupée et exploitée par la France coloniale? Il n'y avait pour eux ni Liberté, ni Égalité et bien peu de Fraternité.
D'ailleurs, le recrutement de ces troupes n'a pas été aisé. L'armée française a parfois dû utiliser la force, pour enrôler des hommes qui ne voulaient pas quitter leurs villages. En Algérie et en Tunisie, l'engagement ne se faisait pas seulement au volontariat, mais aussi par tirage au sort parmi les hommes reconnus «bons pour le service».
Dans cette guerre, les représentants de l'impérialisme français qui s'étaient rangés dans le camp allié se battaient avec la peau des «indigènes» pour défendre l'Empire colonial. Le recrutement des troupes africaines et leur capacité combattante servaient surtout à montrer que la France avait encore son mot à dire. «Sans l'Empire, la France était un pays libéré; avec l'Empire, c'est un pays vainqueur», a dit un politicien de l'époque. Ces soldats ont donc combattu, et sont morts, moins pour la défaite de l'impérialisme allemand, assurée pour l'essentiel par les Soviétiques et les Américains, que pour que la France puisse être à la table des «vainqueurs» et donc conserver ses cinquante millions d'esclaves coloniaux.
La libération de la métropole n'a été suivie d'aucune libération des colonies. Bien au contraire. Le 8 mai 1945, commençait la répression de Sétif, qui fit des milliers de morts dans la population algérienne, suivie en 1947 des massacres à Madagascar puis du début de la guerre d'Indochine.
Les «indigènes» ont eu à se battre deux fois: une première fois pour le compte de l'impérialisme français, une seconde fois pour se libérer du carcan colonial que faisait peser sur eux ce même impérialisme.