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- Lutte ouvrière n°1992
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Leur société
Chirac en Arménie : La paille et la poutre.
«Faut-il que la Turquie reconnaisse le génocide arménien pour entrer dans l'Union? Honnêtement, je le crois», a déclaré Jacques Chirac en allant déposer une gerbe au monument d'Erevan, la capitale de l'Arménie, qui dénonce le massacre des Arméniens par les troupes turques en 1915. En cette veille de campagne présidentielle, Chirac entendait ainsi donner satisfaction à la fois à la communauté arménienne de France mais aussi aux électeurs réticents à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, tentés de voter pour Villiers ou Le Pen.
Dans son élan, Chirac a lancé: «Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs. Peut-on dire que l'Allemagne, qui a profondément reconnu la Shoah, a perdu son crédit? Elle s'est grandie.»
«On pourrait le dire pour la France, dans d'autres circonstances», a-t-il ajouté. Certes, Chirac est connu, à l'inverse de ses prédécesseurs, pour s'être désolidarisé du régime de Vichy en 1995. Il faut dire qu'il avait moins à perdre qu'un Mitterrand qui, comme bien d'autres politiciens de sa génération, avait commencé sa carrière à Vichy, qui fleurit la tombe de Pétain jusqu'en 1992 et admit en 1994 avoir freiné les procédures judiciaires lancées contre les ex-serviteurs de Vichy, et du coup des nazis, Bousquet, Leguay ou Papon.
Il faut dire que Chirac était encore en culottes courtes à l'arrivée de Pétain et qu'il lui était d'autant plus facile de s'en prendre à Vichy que, dans les années quatre-vingt-dix, les anciens vichystes en fonction dans la Cinquième République étaient, au mieux, en retraite. S'il avait fait cette même déclaration vingt ans avant, quand il était le Premier ministre de Giscard, il aurait peut-être barré la route du ministère du Budget justement à Papon... mais alors il s'en était bien gardé.
Il reste pourtant bien d'autres sujets où, selon son expression, «la France» n'est pas tellement pressée de «se grandir». Par exemple, en reconnaissant pour ce qu'ils étaient les crimes commis par l'État français pendant la période coloniale.
Il y a encore peu, le Parlement français a voté sans sourciller un amendement sur le caractère «positif» du colonialisme. Autant dire qu'il n'est pas à l'ordre du jour de dénoncer les crimes coloniaux, ni ceux de la conquête coloniale, ni les dizaines de milliers de morts des massacres de l'après-Deuxième Guerre mondiale, à Sétif et Guelma (Algérie, mai-juin 1945), Haïphong (Indochine, 1946), Madagascar (1947), Casablanca (1947) ou en Côte-d'Ivoire (1949-1950). L'armée française massacra alors des dizaines de milliers d'hommes et de femmes qui osaient réclamer leur indépendance. L'État français fit ensuite la guerre, en Indochine puis en Algérie, au prix d'une nouvelle saignée de centaines de milliers de morts.
Chirac et les dirigeants français sont donc fort mal placés pour aller faire la leçon à d'autres. Qu'ils commencent par balayer devant leur porte.