Amiante : Continuer le combat27/09/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/09/une1991.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Amiante : Continuer le combat

Il aura fallu 10 ans pour que trois ex-directeurs de l'usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados), soient mis en examen devant un tribunal au pénal, fin septembre, pour homicides et blessures involontaires, non assistance à personnes en péril -pour avoir exposé les salariés en connaissance de cause aux fibres d'amiante entre 1980 et 1992. C'est pourtant dans cette «vallée de la mort» que déjà en 1906, il y a un siècle, un inspecteur du travail, Denis Auribault, avait rédigé une «note» sur «l'inobservation totale de l'hygiène» qui avait occasionné une cinquantaine de morts dans cette usine de filature et de tissage d'amiante ouverture en 1890.

Près de 100 ans pour obtenir l'interdiction...

Depuis un siècle qu'on sait que l'amiante est nocive et sclérose les poumons; depuis quelques décennies qu'on la sait cancérigène, responsable de mésothéliums, tout a été mis en oeuvre par les employeurs et les pouvoirs publics pour ignorer, nier et continuer à mettre en péril des vies.

Pas faute de combats des travailleurs contre ce poison: dès 1921, une plainte était déposée devant le Bureau International du Travail (BIT) nouvellement créé à Genève. Dénonçant la maladie pulmonaire des mineurs d'amiante. Dès 1918 aux États-Unis, des médecins baptisent «asbestose» cette maladie, et elle est jugée redoutable puisque des Compagnies d'assurance refusent de couvrir le risque! Une grève en 1949, affecte pendant cinq mois deux grandes villes minières du Canada, premier producteur d'amiante, et en 1975 à nouveau. En France, 3 semaines de grève à Ferodo à Condé-sur-Noireau en 1956. Et bien d'autres combats.

Ce n'est pourtant qu'après la seconde guerre mondiale que l'asbestose est reconnue maladie professionnelle en France. Mais on ne cesse pourtant d'utiliser le minerai miracle, résistant, isolant, ininflammable! Il y en a partout, dans les bâtiments, les locomotives, les automobiles, les grilles pain et même la neige artificielle des studios de cinéma! Dans les années 1970, un «Comité permanent amiante» (CPA) est créé, regroupant des représentants des pouvoirs publics, du patronat, du monde scientifique et de condéfédérations syndicales. Mais pour minimiser le risque, s'en tenir à des «valeurs limites d'exposition» à la fibre. En aucun cas l'interdire. Le Comité milite même en 1991 auprès des autorités européennes contre l'interdiction de l'amiante. Pour le patronat, il y a la défense des sacro-saints profits! Pour certains appareils syndicaux, il y a la défense de l'industrie française, voire de l'emploi! Pour les travailleurs et de nombreux militants syndicaux du rang, il y a la difficulté de lutter, devant tant d'obstacles, et le chantage implicite: la maladie ou le licenciement!

Toujours en lutte pour la condamnation et l'indemnisation

Les premiers combats ont porté sur la reconnaissance, devant le tribunal des affaires sociales de la sécurité sociale, de la faute inexcusable des employeurs. Face à ces procès de plus en plus souvent gagnés par les victimes, les pouvoirs publics ont créé le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA)... mais les sommes accordées par le FIVA ne sont qu'environ la moitié de ce que donnent en moyenne les tribunaux pour des situations analogues. Le barème a d'ailleurs été adopté grâce à une manoeuvre du gouvernement qui avait nommé au Conseil d'Administration du FIVA, pour y détenir la majorité, deux membres supplémentaires du Medef et de la CGPME.

À l'initiative essentiellement de l'Andeva (Association nationale des victimes de l'amiante), les victimes tentent aujourd'hui de faire reconnaître la faute au pénal: 23 procédures ont déjà été déposées, contre des entreprises ayant exposé à l'amiante. Alstom à Lille vient d'être condamnée à indemniser elle-même: 75000 euros d'amende et 10000 euros à chacun des 150 salariés. ADP, Sollac, Eternit, les deux universités du campus parisien de Jussieu sont actuellement poursuivies.

Mais pour leurs crimes, les patrons bénéficient d'une protection supplémentaire. Une loi Fauchon, du nom du sénateur qui l'a déposée et fait adopter à l'unanimité par le parlement en juillet 2000 (sous prétexte de protéger les maires de la correctionnelle en cas d'accident dans leur commune), rend plus difficiles les condamnations pour homicide volontaire. Il faut prouver la volonté délibérée de nuire. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, les condamnations de chefs d'entreprise après un accident mortel du travail ont diminué de 33%, et certaines plaintes pour homicide déposées par les victimes de l'amiante rejetées.

Arrêter le massacre

Trois mille morts par an, 100000 morts annoncés dans les prochaines années, voilà le sinistre bilan d'une des nombreuses forfaitures commises au nom du profit. Mais grâce au combat acharné des victimes et de leurs familles, soutenues par des associations et des militants syndicaux, la catastrophe ne passe pas à la trappe. Une manifestation vient appuyer cette lutte, le samedi 30 septembre à Paris. Rendez-vous à 14 heures à Montparnasse.

Partager