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Dans le monde
Hongrie : Une explosion de colère
Pendant deux nuits, le centre de Budapest a été le théâtre de véritables scènes d'émeute. La nuit du 18 septembre en particulier, quelque 10000 manifestants ont occupé la place jouxtant le Parlement, se heurtant violemment aux cordons policiers. Certains d'entre eux sont parvenus à prendre d'assaut l'immeuble de la télévision, interrompant les émissions, avant d'être délogés par la police. Les manifestants exigeaient la démission du Premier ministre, Ferenc Gyurcsany.
Le facteur déclenchant des émeutes a été la diffusion à la radio d'extraits d'un discours dudit Gyurcsany, tenu il y a quatre mois dans une réunion à huis clos des notables du Parti Socialiste Hongrois.
Le Parti Socialiste venait de gagner les élections législatives qui l'ont reconduit à la tête du gouvernement (après avoir annoncé moult promesses pendant la campagne électorale). Dans un langage cru -«Nous avons merdé», «Personne en Europe n'a fait autant de conneries que nous», «Nous avons gagné les élections en mentant du matin au soir», etc.-, Gyurcsany exhortait les ministres et députés de son parti à rester soudés derrière lui pour imposer à la population un plan d'austérité. «Réformes ou effondrement de notre gouvernement, il n'y a pas le choix.»
Ce discours aussi franc que cynique, fait entre amis, n'était pas destiné au grand public. Mais voilà: enregistré en douce, passé à la radio quatre mois plus tard par manipulation ou provocation, il illustre la duplicité du gouvernement.
Il a fait d'autant plus scandale que le plan d'austérité vient d'être annoncé, et il est particulièrement drastique.
Sous prétexte d'assurer l'entrée de la Hongrie dans la zone euro, les économies budgétaires se traduisent par des suppressions massives d'emplois dans les services publics, hôpitaux et écoles compris, par une baisse de 23% des effectifs des administrations, par la hausse de la TVA de 15% à 20% sur des produits courants, la hausse du prix de l'électricité et du gaz, les études supérieures qui deviennent payantes, le blocage et même la réduction des salaires par la suppression du 13e mois là où il existe, etc.
Le plan d'austérité a été d'autant plus mal ressenti qu'il vient d'un gouvernement bien représentatif de la couche privilégiée du pays qui, après avoir commencé à bâtir sa fortune sous le régime de «démocratie populaire», au nom du «socialisme», a continué à s'enrichir après le changement de régime, au nom du capitalisme libéral. Gyurcsany lui-même est un fleuron de cette couche privilégiée: ancien dirigeant de la Jeunesse Communiste, il s'est servi de ses relations dans l'appareil du parti pour mettre la main sur des entreprises privatisées, se spécialiser dans l'immobilier et la reprise d'entreprises en difficultés, et il est devenu un des hommes les plus riches du pays. Sa fortune faite, il a repris du service dans son ancien parti, transformé après le changement de régime en «Parti Socialiste», pour finir, à quarante ans à peine, Premier ministre et personnalité marquante d'une «gauche moderniste».
Gyurcsany cynique, menteur, faisant en tant que Premier ministre l'inverse de ce qu'il avait promis pendant sa campagne, prêchant l'austérité pour les autres tout en s'enrichissant, n'est certes pas une exception dans les milieux politiques dirigeants. Ni en Hongrie... ni ailleurs. Pour une fois qu'il y en a un par qui le scandale éclate et dont la carrière politique risque d'en pâtir!
Dans le cas de la Hongrie, l'ouverture vers l'Occident et vers le capitalisme sauvage a été le fait des sommets d'un parti qui se prétendait communiste, avant de se transformer en une couche d'intermédiaires, livrant les grandes entreprises au capital occidental et s'enrichissant du reste. Cela donne prise à la droite dans l'opposition et, surtout, à une extrême droite qui émerge pour mettre la pourriture du régime et l'accroissement des inégalités au compte d'une «survivance du communisme». Les «Dehors, les rouges!» que l'on a entendus pendant les affrontements sont peut-être le fait d'individus ou de petits groupes d'extrême droite. Cela laisse entrevoir le risque que l'explosion de mécontentement contre le gouvernement soit canalisée par des courants réactionnaires.
C'est en évoquant ce risque, en invoquant la «perte de confiance dans les institutions de la démocratie», que les dirigeants politiques, toutes tendances confondues cette fois, en appellent au calme. Mais ce sont les incendiaires qui crient «Au feu!».