École à la carte...révolte au menu!21/09/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/09/une1990.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

École à la carte...révolte au menu!

«Assouplir la carte scolaire» pour Ségolène Royal, la supprimer pour Sarkozy: en cette rentrée 2006, ceux qui donnent de la voix à gauche ou à droite font quasiment chorus pour réclamer une plus grande liberté des familles dans le choix de leur établissement scolaire.

Cet exercice de démagogie en direction de la petite bourgeoisie en dit long sur la politique que le vainqueur de la présidentielle, quel qu'il ou elle soit, s'apprête à mener au lendemain de l'élection: s'attaquer au peu de mixité sociale qui subsiste encore dans les établissements scolaires.

Après la création du collège unique au milieu des années 70, l'explosion des effectifs de l'enseignement secondaire au cours des vingt dernières années a conduit les jeunes issus de la classe ouvrière, ou plus généralement des milieux populaires, à prendre massivement le chemin du lycée, surtout technologique et professionnel, mais aussi du lycée général. Le phénomène se prolonge actuellement dans l'enseignement supérieur.

Par rapport aux années 50, où 80% des actifs n'avaient au mieux que le certificat d'études primaires, la situation s'est donc inversée. Le baccalauréat, qui était l'apanage d'une petite minorité, s'est fortement dévalorisé: il est loin le temps où, bac en poche, certains entamaient des carrières de cadres. La petite bourgeoisie n'a dès lors eu de cesse de chercher à reconstituer par tous les moyens des écoles, des filières et des diplômes qui lui permettent de se différencier des classes populaires, et de tenir à distance la jeunesse issue de l'immigration. D'autant qu'au même moment, les quartiers ouvriers, frappés par le chômage et la baisse du niveau de vie, désertés même par les salariés un peu moins mal lotis, devenaient peu à peu ce qu'on nomme aujourd'hui les «cités».

Tout en prétendant vouloir «démocratiser l'école», les gouvernements successifs ont prêté la main aux stratégies de fuite des catégories aisées hors des établissements les moins cotés, et socialement les plus défavorisés. De multiples moyens de contournement de la carte scolaire furent mis à leur disposition: le choix d'une «option rare» (qu'on abandonne parfois quinze jours après la rentrée) ou une domiciliation de complaisance. Avec toujours en dernier recours la possibilité de s'inscrire dans l'enseignement privé qui offre la possibilité à des millions d'élèves d'échapper à l'école publique de leur secteur, trop «mal famée» à leur goût, mais qui le fait grâce aux subventions massives qu'il reçoit, subventions jamais remises en cause par la gauche, qui les a au contraire entérinées au travers des accords Lang-Cloupet de 1992.

Non seulement l'État ne fait pas grand-chose pour défendre ce qu'il est convenu d'appeler «la mixité sociale» , mais il finance même les mécanismes qui la ruinent, car seule une infime minorité pourrait s'offrir le privé si les parents devaient vraiment en supporter les coûts de fonctionnement.

Ces évolutions ont débouché sur la situation actuelle où, ségrégation urbaine aidant, certains établissements -surtout des collèges- se sont transformés en véritable ghettos sociaux et raciaux, tandis que d'autres, à l'autre pôle, accueillent essentiellement les «chères petites têtes blondes» issues des quartiers favorisés. Et là où un certain degré de mixité sociale a été préservé, c'est entre les filières et les classes que sévissent d'insidieuses discriminations.

Assouplie, la carte scolaire l'est donc déjà; Paris a même un métro d'avance puisque la désectorisation officielle y a commencé depuis plusieurs années. La suppression de la carte scolaire à l'échelle nationale ne serait donc qu'un pas de plus en direction d'un système éducatif totalement cloisonné du point de vue social, un véritable marché scolaire où chaque établissement, régulièrement classé (par taux de réussite aux examens, par degré de violence...), sélectionnerait librement les dossiers des élèves qu'il accepte, laissant le «rebut» aux écoles de rang inférieur.

Ségolène Royal pousse l'hypocrisie jusqu'à laisser entendre qu'on gagnerait à laisser la situation se dégrader ainsi -puisqu'on pourrait identifier les établissements les plus mal lotis et y concentrer les moyens. Son intention est sans doute de déshabiller Paul pour habiller Pierre, comme dans l'actuelle réforme des ZEP. Mais de toute façon, la question va bien au-delà des moyens: quand bien même on accroîtrait sensiblement les budgets qui leurs sont dévolus, cela ne justifierait pas de concentrer les élèves issus des milieux pauvres et immigrés dans des établissements spécifiques. Un ghetto demeure un ghetto, même assaisonné d'«aide individualisée», de «meubles multimédias» et d'enseignants (voire de policiers) «référents» .

En tout cas, ces déclarations de rentrée ont au moins le mérite de clarifier les intentions des uns et des autres. Ni la gauche ni bien entendu la droite n'ont rien à proposer aux parents préoccupés par la qualité de l'enseignement qu'on délivre à leurs gamins, et à ces derniers qui prennent en partie conscience de l'apartheid qui se cache derrière les discours hypocrites sur la citoyenneté, la démocratie et l'antiracisme professés en «éducation civique». Une telle conscience n'était pas pour rien dans les émeutes de novembre-décembre: à quelque époque et sur quelque continent qu'on se place, qui sème la misère et la ségrégation engendre la révolte.

Julien FORGEAT

Convergences Révolutionnaires n° 46 (juillet-août 2006) Bimestriel publié par la Fraction

Dossier: Afghanistan, Irak, Iran, Somalie... l'islamisme face à l'impérialisme: Ennemis irréductibles ou futurs partenaires.

Articles: En marge du 48e congrès de la CGT: naissance d'une opposition? - La Poste: un syndicalisme bien tempéré - Les 35 heures renégociées à Disney: un vol de temps, de salaire et d'emplois - Belgique: l'extrême droite gonfle, la gauche se dégonfle -Brésil: le congrès de Conlutas - Bolivie: une tribune de la LOR-CI (FTQI).

Pour se procurer ce numéro, 1,5 euro, ou s'abonner (1 an: 9 euros; de soutien: 15 euros) écrire à: LO, pour la Fraction, BP 233-75865 Paris Cedex 18ou Les Amis de Convergences, BP 128-75921 Paris Cedex 19

Sur le Net: http://www.convergencesrevolutionnaires.org

Partager