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Dans les entreprises
AZF – Toulouse : Cinq ans apres la catastrophe, un bilan accablant
Il y a cinq ans, au coeur de quartiers populaires toulousains, explosait l'usine AZF. On relevait trente morts, dont vingt dans l'usine même. Mais aussi des milliers de blessés, des dizaines ayant perdu les yeux, ou l'usage de leurs jambes. Sans compter les blessures psychologiques, dont certaines ne se sont toujours pas refermées.
Mais l'explosion de l'usine AZF, c'est aussi un quartier détruit. Mille logements qui ne seront jamais reconstruits, dix mille logements sans fenêtres, avec des cloisons renversées et un intérieur dévasté, et tous les logements dans un rayon de six kilomètres avec les vitres cassées. C'est un quartier qui du jour au lendemain se retrouve sans boulanger et sans mécanicien, avec toute l'économie de proximité qui a disparu.
En mai dernier, les experts ont déposé leurs conclusions sur l'enquête judiciaire: elles sont accablantes pour Total. L'hypothèse de l'attentat a pu être définitivement écartée, aucune trace d'explosif ou de dispositif de mise à feu n'ayant pu être trouvée. L'enchaînement des faits qui ont conduit à l'explosion a pu être reconstitué de façon très convaincante. L'accent a été mis sur de très graves manquements à la sécurité dans cette usine AZF. La responsabilité du groupe Total est complètement engagée, et le procès devrait avoir lieu début 2007.
Aujourd'hui, le pôle chimique qui regroupait l'usine AZF, la SNPE et d'autres plus petites entreprises est quasiment fermé, il reste environ 150 salariés sur les 1000 qui y travaillaient. Deux fois plus de sous-traitants ont perdu leur travail. Que des usines aussi dangereuses aient fonctionné à proximité de quartiers très peuplés est bien sûr aberrant. Mais la fermeture de ces sites s'est faite dans le plus parfait mépris des travailleurs et ce sont eux qui ont fait les frais de l'inconscience criminelle de leurs dirigeants.
Il faut dire qu'à l'époque l'intersyndicale de l'usine AZF, derrière la CGT, a bien aidé le groupe Total à s'exonérer de ses responsabilités. La politique de l'intersyndicale a consisté à récuser toute responsabilité de l'entreprise dans l'explosion, puis à se battre pour la réouverture du pôle chimique, en participant à une division entre les victimes, les salariés et les sinistrés, qui ne bénéficiait qu'à Total. Et lorsque Total a décidé de fermer définitivement, l'intersyndicale a accusé les associations de sinistrés d'en être responsables, alors même que Total avant l'explosion réduisait l'activité de sa division engrais et envisageait même de fermer une de ses usines AZF. L'explosion lui a permis de «choisir» celle de Toulouse, en bénéficiant de fait de la complicité des syndicats locaux, à l'exception de FO.
Du côté des sinistrés, cinq ans après, on peut dire que la vie a suivi son cours, dans les règles de la société capitaliste. Les plus riches se sont un peu enrichis, et les plus pauvres se sont beaucoup appauvris.
Quinze jours après l'explosion, Total a signé sous l'égide du préfet un accord avec les assurances qui devait faciliter les accords amiables, pour éviter un engorgement des tribunaux. Accord amiable signifie négociations, mais tous les sinistrés n'avaient pas les mêmes armes pour obtenir réparation de Total. Ils se sont retrouvés en concurrence les uns contre les autres, d'autant plus que la demande de travaux était beaucoup plus forte que l'offre. Ce sont donc les plus riches, les plus cultivés, les moins âgés, les moins traumatisés qui ont su se battre contre les assurances, les experts et les artisans pour obtenir réparation les premiers.
Seul l'État aurait pu imposer un minimum de justice, s'il avait fait voter une loi d'urgence, en mettant ses moyens au service des sinistrés. Pour permettre le transport des pièces de l'Airbus de Bordeaux à Toulouse, le gouvernement a pu faire voter une telle loi, afin d'élargir en six mois la route entre ces deux villes. Mais pour les 50000 sinistrés toulousains, l'État a laissé aller les procédures traditionnelles, efficaces seulement pour réparer un dégât des eaux.
À aucun moment l'État n'a voulu contraindre Total en quoi que ce soit. Aucune collectivité, ni l'État, ni la ville de Toulouse, ni le Conseil général, ni le Conseil régional, aucune ne s'est portée partie civile contre Total. Pire, la ville de Toulouse a aggravé la situation en mettant en place son GPV, Grand Projet de Ville, qui a rayé de la carte 2000 logements supplémentaires dans le quartier sinistré du Mirail. Cela a eu pour effet immédiat de raréfier les logements et de provoquer une hausse effrénée des loyers.
Au bilan, la catastrophe a coûté autour de trois milliards d'euros à Total, à comparer à ses seize milliards d'euros de bénéfices annuels avoués. Mais ce que l'on n'arrivera jamais à mesurer, c'est la quantité de souffrances, de traumatismes, de difficultés que cette catastrophe a amenée, pour prix de la négligence criminelle d'un groupe qui n'a en vue que ses profits.