Allemagne - La confession de Günter Grass sur son passé : Petits et grands mensonges de l'après-nazisme25/08/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/08/une1986.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne - La confession de Günter Grass sur son passé : Petits et grands mensonges de l'après-nazisme

L'écrivain Günter Grass a révélé, le 12 août, lors d'un entretien accordé au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, qu'il avait été enrôlé dans une unité de la Waffen SS à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il était âgé de 17 ans. Le fait qu'il ait gardé le silence pendant si longtemps sur cet épisode de sa jeunesse porte un coup à l'image de figure intellectuelle et morale que ce compagnon de route du Parti Social-démocrate s'était forgée. La gauche réformiste européenne avait d'ailleurs contribué à lui faire cette réputation. L'Humanité lui avait ainsi rendu un hommage élogieux lorsqu'il obtint le prix Nobel de littérature en 1999.

Enrôlé dès l'âge de onze ans dans les Jeunesses hitlériennes, Grass fut de cette génération perdue dont une partie, de gré ou de force, soutint le régime nazi jusqu'à la fin. Puis, dans la période d'après-guerre, il y eut les années de refoulement du passé nazi de l'ère Adenauer, pendant lesquelles personne n'osait aborder le passé qu'autrement que du point de vue des vainqueurs. Günter Grass fut ensuite un de ces intellectuels qui disaient vouloir pousser leurs concitoyens à sortir de leur mutisme sur les années de dictature et à regarder le passé en face. Mais ce retour en arrière selon Grass ne dépassa jamais le stade de l'introspection personnelle autour de questions du type: comment tout cela a-t-il été possible? Ou bien: comment ai-je pu être fasciné par un psychopathe comme Hitler?

Mais si cette façon de poser le problème a pu toucher bien des Allemands qui s'interrogeaient sur leur rôle personnel ou, pour la génération d'après-guerre, sur celui de leurs parents, elle évitait aussi soigneusement les vraies questions politiques. Elle revenait à attribuer la responsabilité du nazisme en bloc à la population allemande, à sa psychologie ou à ses peurs. Restant dans cette logique de culpabilité collective, Günter Grass n'a cessé, tout au long de son oeuvre, de rappeler aux Allemands leur dette pour les crimes commis contre l'humanité. «Tout un peuple crédule a cru au père Noël», écrit-il dans le Tambour, son premier roman, publié en 1959.

Mais ce ne sont pas «les Allemands» qui ont porté Hitler au pouvoir. L'arrivée et le maintien au pouvoir du régime national-socialiste ne peut s'expliquer par la seule fascination qu'Hitler et ses sbires ont pu exercer sur une population en quête d'un sauveur. D'abord, en ne considérant que le strict plan électoral, Hitler n'a jamais obtenu de majorité absolue. Même lors du dernier scrutin organisé en mars 1933, alors que les nervis hitlériens faisaient déjà régner la terreur dans le pays depuis des semaines, le parti nazi n'obtint que 43,9% des suffrages exprimés. Et puis surtout Hitler ne vint au pouvoir et ne put s'y maintenir qu'en détruisant par la violence l'immense force que représentait le mouvement ouvrier organisé, le plus puissant d'Europe, ces centaines de milliers d'hommes et de femmes, qui incarnaient face à la barbarie nazie, et en dépit de la politique de leurs dirigeants, une perspective d'émancipation sociale.

Les premières victimes du régime nazi furent les militants des partis ouvriers, envoyés dans les camps de concentration parce que cela répondait aux nécessités de la bourgeoisie allemande. Et on ne peut dissoudre les responsabilités de celle-ci dans une vague responsabilité collective du peuple allemand, englobant ceux qui périrent dans les camps et ceux qui les y envoyèrent.

S'il s'est parfois distingué du conformisme dominant par des positions critiques, et s'il fut pour cela la cible de la presse réactionnaire, jamais Grass n'est allé jusqu'au bout de ses interrogations sur la période nazie. Et lorsque la génération contestataire de 68 dénonça l'hypocrisie qui imprégnait l'histoire officielle sur ces questions, Grass alla jusqu'à traiter les jeunes qui manifestaient de «nazis repeints en rouge». Alors au fond, peu importe qu'il ait menti volontairement pour protéger sa carrière ou que simplement la honte ait fait qu'il ne se soit senti capable de faire toute la lumière sur son passé qu'à l'âge de 78 ans. Au-delà de la personne de Günter Grass, cette attitude est bien révélatrice du mensonge fondamental sur lequel a été bâtie la «démocratie» allemande d'après-guerre. Celle-ci n'a pu naître qu'en tentant d'effacer le passé du mouvement ouvrier, et en occultant le plus possible les responsabilités du grand capital -de ces Krupp, Siemens et autres Bayer qui continuent à prospérer aujourd'hui- dans la venue au pouvoir d'Hitler. Cela sans oublier la responsabilité de son appareil d'État, dont toute une partie de ses membres a poursuivi sa carrière après-guerre dans la République Fédérale. Ainsi, en cette année 1959 où Grass publiait le Tambour, le Parti Communiste était interdit depuis trois ans, ses militants, y compris ceux qui avaient survécu aux prisons et aux camps nazis, étaient pourchassés et emprisonnés, souvent condamnés par des juges... qui officiaient déjà sous Hitler.

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