Tous «black, blanc, beur»?12/07/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/07/une1980.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Tous «black, blanc, beur»?

L'équipe de France de football n'a finalement pas remporté la coupe du monde. L'événement, qui a rassemblé jusqu'à plus de 22 millions de téléspectateurs en France pour les deux derniers matchs de l'équipe nationale, a néanmoins été le centre de l'attention et de bien des discussions durant ces dernières semaines.

On a ainsi vu refleurir, comme en 1998, tout un discours sur cette équipe «black, blanc, beur» représentant une France «multiraciale». Pour bien des jeunes des cités populaires, issus de l'immigration africaine, maghrébine ou antillaise, il y a derrière ce slogan plus que de la fierté, quelque chose comme une revanche. Oui, cette équipe de France des Thuram, Zidane ou Makelele, est pour une large part composée d'immigrés et d'enfants d'immigrés, de ceux pour qui Sarkozy il n'y a pas si longtemps avait employé le terme de «racaille», issus de ces quartiers qu'il voulait «nettoyer au karcher», de ceux qu'il veut expulser aujourd'hui du territoire, au nom de «l'immigration choisie». Que cette équipe à laquelle ils s'identifient ait représenté pendant des semaines la «fierté nationale» peut pour beaucoup apparaître comme une revanche sur le mépris et le racisme quotidien, sur les discriminations, sur les brimades policières et les contrôles au faciès. Et c'est aussi une claque à la démagogie raciste d'un Le Pen qui déclarait il y a peu que le sélectionneur avait «exagéré la proportion de joueurs de couleur» dans l'équipe.

Mais ce sentiment d'avoir été vengé par cette équipe multicolore n'est pas sans ambiguïté. Les plus saines réactions sont malheureusement souvent dévoyées sur le terrain empoisonné du nationalisme. Même un Thuram, symbole s'il en est de cette France «black, blanc, beur», qui s'était publiquement élevé contre les déclarations de Sarkozy sur la «racaille» en novembre dernier, n'en est pas exempt. Il ne trouve rien d'autre à opposer au racisme que l'idée d'une «vraie France», plurielle et tolérante, qui pourrait réconcilier tous les Français.

C'est que l' «épopée des Bleus» est une grande opération d'unité nationale, où la France «black, blanc, beur» n'est acceptée qu'à condition de se ranger derrière le drapeau tricolore, où l'on n'entend les voix des plus pauvres et des immigrés que lorsqu'elles chantent la Marseillaise. Et les médias n'en finissent plus de célébrer cette unité nationale retrouvée: après les émeutes de novembre dernier, après les mois de lutte contre le CPE et la précarité, on se retrouverait ainsi tous unis derrière l'équipe de France.

Tous les politiciens tentent d'ailleurs de surfer sur la vague de popularité des Bleus. Chirac et Villepin s'affichent dans les tribunes officielles des stades et aux côtés des joueurs. Le premier ministre va jusqu'à déclarer à propos du parcours de l'équipe de France que «la France n'a pas toujours vocation à tomber, elle se relève parfois» faisant sans doute le rêve peu probable que cela s'applique à sa propre cote de popularité. Chacun de droite comme de gauche prétend s'identifier qui à Zidane, qui à Domenech, et se placer sous leur patronage dans la compétition électorale pour 2007. Les députés vont jusqu'à hisser une banderole de soutien à l'équipe nationale sur les grilles de l'Assemblée. Les ficelles sont sans doute un peu grosses pour être vraiment efficaces, mais elles reposent sur l'idée, serinée en permanence, que l'on pourrait se retrouver tous, les travailleurs comme les patrons et les politiciens à leur service, au coude à coude derrière «notre» équipe de foot.

Il ne s'agit certes aujourd'hui que de football, mais on ne peut s'empêcher de se rappeler que le même drapeau, le même hymne et les mêmes discours sur «l'unité de la France» ont servi à couvrir les pires barbaries. Il ne s'agissait pas alors de simplement brasser les millions d'un événement sportif à coup de sponsoring ou de pubs télé, mais c'est au son de la même Marseillaise qu'on a envoyé les travailleurs -et ceux qui sont les grands-pères ou les arrières grands pères des «blacks» et des «beurs» de préférence en tête- au massacre pour «défendre la patrie», en réalité les profits de la bourgeoisie. Aujourd'hui, sans même que le jeu de ballon soit remplacé par le son du canon, la coupe du monde est l'occasion de tenter de nous faire gober qu'avec l'unité de la nation, les inégalités et le racisme pourraient disparaître derrière une équipe de France multicolore.

Laissons le football à tous ceux qui vibrent pour le beau jeu et les grands exploits sportifs. Mais pour faire reculer le racisme et les discriminations, comme pour combattre tous les mauvais coups des patrons et du gouvernement -qui ne connaissent, eux, pas de trêve pour le Mondial- mieux vaudra choisir un autre terrain: celui des luttes sociales, de la lutte des classes.

Partager