Ukraine : Nouveau gouvernement, vieux problèmes07/07/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/07/une1979.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Nouveau gouvernement, vieux problèmes

Trois mois après les élections législatives censées lui donner naissance, la Rada (le Parlement ukrainien) a accouché d'un nouveau gouvernement. Il était temps. À un ou deux jours près, faute d'accord entre les clans politiques dirigeants, la Rada aurait dû être dissoute, et les députés retourner devant les électeurs, ce dont ils ne voulaient en aucun cas, tant est grand le discrédit des uns et des autres parmi la population.

Pour le moment, car cet accord est bancal, Ioulia Timochenko a retrouvé le poste de Premier ministre dont l'avait éjectée, il y a huit mois, son allié-rival, le président Iouchtchenko. Le parti de celle qui a pour sobriquet «princesse du gaz» a dû accepter de partager le pouvoir avec le parti du président, Notre Ukraine. Et comme cela ne suffisait pas pour assurer une majorité à la Rada, l'une et l'autre se sont alliés au SPU, le Parti Socialiste Ukrainien, qui est en fait celui de la puissante bureaucratie agrarienne: celle des directeurs de kolkhozes, de sovkhozes, de combinats agro-alimentaires.

Il fallait bien cette combinaison hétéroclite de clans et partis, déjà arrivés au pouvoir après la «révolution orange», pour faire pièce au Parti des Régions, arrivé en tête des élections législatives. À peine un an après la «révolution orange», ce Parti des Régions, souvent catalogué comme pro-russe et lié aux milieux de l'ex-présidence de Koutchma, n'a eu guère de mal à se refaire une certaine virginité en quelques mois d'opposition.

En effet, dès 2005, les partis composant le pouvoir «orange» ont étalé au grand jour leur cupidité, leur soif de places, d'enrichissement rapide, en même temps que leur incompétence à résoudre les problèmes du pays et de la population, dont le niveau de vie recommençait à se dégrader à grande vitesse. Du coup, les partis «orange» ont réussi, en quelques mois, à écoeurer une bonne partie de leurs anciens partisans.

Une fois les élections passées, et perdues par eux, ils ont dû faire taire in extremis leurs ambitions opposées, et leurs dénonciations mutuelles d'affairisme crapuleux pour revenir aux affaires, dans tous les sens du terme. Mais, précisément, les juteuses affaires de privatisation et de trafic de sinécures qui les avaient fait se jeter à la gorge les uns des autres après la «révolution orange» ne peuvent profiter à la fois à tous ceux qui lorgnent dessus. Cette situation conflictuelle, qui avait déjà rapidement fait éclater la majorité «orange», n'a pas changé, et l'on peut s'attendre à ce qu'elle produise les mêmes effets.

Les clients politiques de Ioulia Timochenko piaffaient d'impatience après sa mise à l'écart par le clan présidentiel et ils ont sans doute été ravis de l'entendre dire qu'elle avait l'intention de renégocier l'accord gazier avec Moscou. Le transit du gaz russe par le territoire ukrainien est la principale source de revenus de toute une partie de la bureaucratie ukrainienne. De même, les menaces qu'elle a proférées contre des affairistes de haut vol dont la (très) bonne fortune devait tout à leurs liens avec le précédent président, Koutchma, ont résonné comme une promesse de butin pour certains.

Mais cette nouvelle ruée sur les dépouilles de l'ancienne économie soviétique et cette empoignade autour des gazoducs russes risquent forcément de heurter les intérêts d'affairistes liés à d'autres clans qu'à celui de Timochenko, à commencer par ceux qui gravitent autour de la présidence. Même chose s'agissant du troisième larron gouvernemental, le SPU, dont la clientèle politique pâtit du bras de fer gazier entre Moscou et Kiev. En effet, pour faire pression sur Kiev, le gouvernement russe de Poutine a instauré un embargo de fait sur certaines exportations agro-alimentaires ukrainiennes, les prix de la viande ukrainienne ayant de ce fait fortement chuté et plusieurs gros combinats ayant dû fermer.

Trop faibles séparément pour exercer et conserver le pouvoir, ces clans dirigeants de la bureaucratie ont été contraints de s'allier. Mais cette alliance est explosive car, comme en Russie, c'est essentiellement par le canal du pouvoir que transitent les possibilités de s'enrichir... et ceux qui se déchirent pour les accaparer.

Pendant ce temps, dans le camp de l'opposition, on louvoie entre les clans revenus au pouvoir pour ménager les affaires des bureaucrates-hommes d'affaires qui tiennent les grandes concentrations industrielles de l'est de l'Ukraine. Quant à la population, dont le mécontentement est évident, ne serait-ce que du fait de la forte hausse des prix, cette même opposition cherche une nouvelle fois à la dévoyer sur le terrain du nationalisme.

L'occasion lui en a été fournie lorsque le gouvernement intérimaire a prétendu organiser des manoeuvres communes avec l'OTAN en Crimée, une région russophone. Alors qu'il y avait eu des précédents, des manifestations ont forcé le gouvernement à reculer et les militaires américains à plier bagage. Le président Iouchtchenko ayant donné son feu vert à un référendum sur l'entrée à terme de l'Ukraine dans l'OTAN (les sondages donnent une majorité des deux tiers qui s'y opposerait, avec entre autres le soutien du SPU, membre de la majorité gouvernementale), cela promet une nouvelle foire d'empoigne sur un terrain où il sera beaucoup question de nationalisme, mais certainement pas des intérêts concrets, immédiats et vitaux de la population.

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