Journal «Libération» : July congédié par son maître21/06/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/06/une1977.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Journal «Libération» : July congédié par son maître

Serge July, le PDG de Libération, s'est fait proprement virer par l'actionnaire principal, Edouard de Rothschild, du journal dont il était un des fondateurs.

Pour faire face à la chute de ses recettes publicitaires et à la baisse continue de ses ventes, début 2005 Libération avait trouvé ce nouvel investisseur qui avait engagé 20 millions d'euros dans le capital du journal, en devenant l'actionnaire majoritaire. Dans les semaines qui avaient précédé la transaction, July n'avait pas ménagé ses efforts pour encenser les propositions du futur patron, déclarant entre autres sur une pleine page de Libération: «Edouard de Rothschild entend donner à Libération du temps et des moyens de développement en respectant son indépendance, d'une certaine manière en la sanctuarisant. C'est une chance pour l'ensemble des équipes de Libération et pour nos publications.» Rothschild avait donné à July l'assurance qu'il resterait «à la tête de Libération, en cumulant les fonctions de président et de directeur général, jusqu'en 2012».

Après avoir organisé, il y a quelques mois, un plan d'une cinquantaine de suppressions de postes ayant pour objectif de faire 4,8 millions d'euros d'économies, July à son tour est congédié par Rothschild, qui voudrait encore réduire les coûts de 6 millions d'euros par an. July n'est victime que des lois d'un système dont il s'est fait le chantre, dans le journal qu'il a fondé. Une leçon de choses en somme. D'ailleurs, qu'un PDG se fasse virer par le capitaliste qui tient les cordons de la bourse et qui en veut pour son argent n'a rien d'exceptionnel.

Libération, qui à ses débuts en 1973 se targuait d'une image contestataire, s'est adapté, sous la houlette de July, au conformisme ambiant, comme l'illustrait par exemple en 1995 la Une du quotidien qui saluait «Juppé l'audace» pour défendre le plan sur les retraites du Premier ministre de Chirac.

Et Libération n'est pas un cas particulier. La liberté de la presse et l'indépendance des journalistes ne sont que des faux-semblants, étant donné la mainmise de quelques grands groupes financiers et industriels sur l'essentiel des moyens d'information. En juillet 2004, le rapport d'un sénateur constatait «la concentration du secteur, dominé par deux groupes d'industriels de l'armement» (Lagardère et Dassault). Pour ne citer que quelques exemples, Dassault, qui détient déjà Le Journal des Finances, Valeurs actuelles, Le Spectacle du Monde, est devenu le principal actionnaire du Figaro; François Pinault possède à la fois Gucci, la Fnac, La Redoute et l'hebdomadaire Le Point. La presse est une marchandise, même si elle est une marchandise un peu particulière. Car en investissant dans une parution, ce ne sont pas toujours des profits sonnants et trébuchants que visent les capitalistes; ils s'achètent «leur» joujou de communication, leur moyen d'influencer l'opinion. Ainsi un banquier proche de Rothschild confiait, en décembre 2004, à l'hebdomadaire Le Point: «Vingt millions d'euros, c'est beaucoup d'argent, même pour un Rothschild. Et en même temps, ce n'est pas beaucoup pour mettre la main sur une affaire connue. De celles qui vous projettent en pleine lumière. Libé, c'est une institution du "microcosme", un journal qui a plus d'influence que son tirage.»

July n'est pas à plaindre. Il trouvera le moyen de monnayer sa plume et son discours. Félicitons tout de même ce rejeton des Rothschild pour avoir su montrer à ceux qui croyaient encore que la presse était libre et indépendante qu'il s'agissait d'un mythe.

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