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Leur société
Le congrès de la CFDT : «Les prises de risques», auxquelles Chérèque se prépare
Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, a ouvert le 46éme congrès de la centrale en justifiant, bien évidemment, tous les choix faits par celle-ci depuis son dernier congrès de 2002. «Nous avons fait des choix difficiles et controversés, a-t-il déclaré, mais le moment n'est-il pas venu de les valider?».
Selon Chérèque, le soutien de la CFDT à la réforme des retraites de Raffarin en 2003 était donc le bon choix, même si elle a été un nouveau recul pour les retraites des salariés. De même lorsque la CFDT a, bras dessus bras dessous avec le Medef, mis sur pied et défendu la réforme de l'Unedic en 2002, une réforme qui a privé d'indemnisation des centaines de milliers de chômeurs. Et enfin Chérèque a défendu avec acharnement son attitude face à la réforme des intermittents du spectacle, qui l'a amené à critiquer le gouvernement pour son manque de fermeté face aux manifestants. Il ne regrette tellement rien qu'il n'a pas hésité à mettre en cause la CGT, en présence de son secrétaire général, Bernard Thibault, venu en personne affirmer l'attachement de sa centrale à «l'unité syndicale». Chérèque a stigmatisé «ceux (c'est-à-dire la CGT), dont on aimerait tellement qu'ils s'engagent pour une fois». «S'engager», dans la bouche de Chérèque, voulant dire sacrifier ouvertement et sans complexe les intérêts des salariés.
Pour le secrétaire de la CFDT, même après les manifestations contre le CPE, l'heure n'était pas à faire le moindre geste en direction de la CGT. Bernard Thibault a d'ailleurs regretté «le peu d'analyse des vertus de l'action syndicale unitaire».
D'après les chiffres de la direction confédérale elle-même, la CFDT aurait perdu depuis 2003 dix pour-cent de ses effectifs par la suite du départ de plus de 90000 syndiqués contestant les choix de la confédération. Mais la CFDT reste la deuxième centrale syndicale du pays. Au-delà des prises de position de leurs dirigeants, il y a un peu partout des militants de ce syndicat qui essayent de maintenir, et parfois avec difficulté face à l'hostilité patronale, sa présence et son activité.
Mais les dirigeants de la CFDT ont comme ambition de se servir de cette présence large pour être admis comme «partenaires privilégiés» par patronat et gouvernements, et non pour contester l'exploitation patronale et les politiques antiouvrières des gouvernants. Chérèque a d'ailleurs rappelé que ce qu'il reprochait au gouvernement Villepin à propos du CPE, plus que le fond de ses propositions, était «d'avoir trahi ses engagements» en matière de dialogue social. En clair, c'est d'avoir introduit ce recul sans le faire avec l'aide de la CFDT, comme Raffarin l'avait si bien fait, lui, pour imposer ses remises en cause sur les retraites.
À l'heure de l'offensive patronale et gouvernementale contre les droits des salariés, l'ambition de ce genre de dirigeant syndical est de postuler au rôle d'avocat «indispensable», afin de faire accepter sans vague ces reculs. D'ailleurs Chérèque a annoncé la couleur, dans le rapport d'activité présenté aux congressistes: «Accepter les difficultés d'une société en mouvement et en perte de repères comporte nécessairement une prise de risque que les sujets lourds de la période ont confirmé.» Et le «débat sur des questions pas évidentes», suivant la formule de la direction de la CFDT, concerne rien moins que la réforme du contrat de travail, l'acceptation de la privatisation de tous les secteurs publics et l'objectif d'éviter «systématiquement» le recours à la grève.
On voit quel est l'avenir «syndical» enthousiasmant qu'envisagent ces dirigeants confédéraux. C'est un choix qui ne date pas d'aujourd'hui. Ce qu'a dû assumer Chérèque, Nicole Notat l'avait fait avant lui en 1995, et Edmond Maire encore avant. Mais les dirigeants de la CFDT ne sont pas les seuls à chercher à être admis comme interlocuteurs valables par le patronat et le gouvernement, même s'ils le disent avec plus de franchise et parfois de cynisme. Malgré l'irritation que peut ressentir Bernard Thibault devant le peu de délicatesse d'un partenaire qui ne se précipite pas pour répondre à ses avances unitaires, il partage la même conception du syndicalisme. Les dirigeants de la CGT disent et répètent que rien ne peut être fait sans «l'unité syndicale». Mais pour faire quoi au juste, si ce n'est pour se servir du fait que la CFDT repousse leurs avances comme alibi pour ne pas proposer une autre perspective aux travailleurs?
Pourtant, face à l'appétit sans limites des patrons, aux attaques gouvernementales incessantes, les travailleurs ont plus que jamais besoin de retrouver confiance dans leur force collective, pour inverser le cours à rebours actuel.