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Dans le monde
Nigeria : Calcinés pour quelques litres de pétrole, dans un pays qui en regorge
Deux cents personnes au moins sont mortes brûlées vives dans l'explosion d'un pipe-line à quelques dizaines de kilomètres de Lagos, la plus grande ville d'Afrique. Ce drame, qui s'est produit vendredi 12mai, n'est pas le premier du même genre.
Toute la zone côtière du Nigeria est sillonnée par des oléoducs vétustes appartenant à la compagnie nationale. Ils sont là, à même le sol, sans aucune protection, comme c'était le cas sur la plage d'Ilado où a eu lieu l'explosion. Les habitants des villages environnants tentent souvent de soulager un peu leur misère en les perforant et en récupérant du carburant dans des bidons, des seaux ou des casseroles, comme ceux que l'on a retrouvés sur place après la catastrophe. Ils l'utilisent pour leurs besoins, mais en vendent la plus grande partie. Tout un marché s'installe alors, et des habitués arrivent en voiture, en camion ou même en bateau pour s'approvisionner. Cela peut durer, pour peu que la police touche sa part du trafic pour accepter de fermer les yeux. C'était semble-t-il le cas à Ilado, où l'opération avait commencé il y a plusieurs jours. Quand tout se passe bien, personne n'en parle. Mais régulièrement c'est le drame, car il suffit de la moindre étincelle sur ce combustible extrêmement volatil pour que tout saute. En 1998, un millier de personnes étaient mortes lors d'une explosion semblable dans le delta du Niger, la principale zone productrice de pétrole. Et depuis lors plusieurs autres explosions ont coûté la vie à plus de mille nouvelles personnes.
C'est la misère dans laquelle vivent les habitants de cette région qui les pousse à prendre de tels risques. Pendant que le prix du pétrole qui coule à quelques dizaines de mètres de leurs habitations ne cesse d'augmenter, eux doivent se battre quotidiennement pour ne pas mourir de faim. Les plus grandes compagnies pétrolières sont installées au Nigeria, qui est le cinquième exportateur mondial de pétrole, et pillent allègrement cette richesse. Les sommes que les trusts reversent à l'État nigérian assurent les trois quarts de son budget, dont une grande partie disparaît dans les poches des gouverneurs, militaires et autres responsables qui s'entendent avec les opérateurs européens et américains. Les 130 millions de Nigérians n'en voient pas la couleur.
Les trusts peuvent ainsi piller le pays, la caste dirigeante vivre la belle vie, et ces milieux dirigeants du Nigeria traitent de «pillards» et de «trafiquants» les malheureux comme ceux qui sont morts à Ilado. Mais eux-mêmes détournent depuis des années l'argent de l'or noir. 374 millions d'euros ont été rapatriés par la Suisse en 2005. Ils avaient été volés par l'ancien dictateur Sani Abacha mort en 1998. Olusegun Obasanjo, président depuis 1999, a choisi d'asseoir son autorité en lançant à grand renfort de publicité une campagne contre la corruption. Mais celle-ci concerne en priorité ses adversaires politiques. En septembre 2005 le gouverneur de Bayelsa, un État pétrolier du sud du Nigeria, a été arrêté en Angleterre. Des millions en billets de banque ont été retrouvés dans sa riche villa londonienne. Mais, derrière cette campagne médiatique destinée à ravaler la façade du gouvernement nigérian actuel vis-à-vis des institutions internationales, les mêmes pratiques continuent. Les deux tiers de la population nigériane vivent avec moins d'un euro par jour.
Les bénéfices des trusts pétroliers, qui s'affichent en ce moment, sont faits, entre autres, de drames comme celui qui vient de se produire. Derrière ces chiffres, il y a les cadavres retrouvés calcinés sur la plage d'Ilado, les corps de pauvres gens qui se battent pour grappiller les quelques sous qui leur permettent de survivre.