Clearstream : C’est pas clair, mais c’est de cette façon que le système fonctionne10/05/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/05/une1971.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Clearstream : C’est pas clair, mais c’est de cette façon que le système fonctionne

Un vainqueur émergera-t-il de cette foire d'empoigne nauséabonde qu'est l'affaire Clearstream? Chirac, Villepin et Sarkozy sortiront-ils indemnes du tourbillon médiatique qui s'est déclenché? Cela est bien difficile à prévoir. Mais cette histoire -qui sert de prétexte aux sordides règlements de comptes de la droite française- met une nouvelle fois en lumière à quel point la corruption et le camouflage de fonds sont des mécanismes normaux des marchés financiers.

À l'origine de tout ce scénario, on trouve une histoire de pots-de-vin comme il y en a tant dans ce club des marchands d'armes ou de pétrole: la vente de six frégates de guerre par Thomson à Taiwan en 1988. La Chine ne voulant pas entendre parler de ce marché, le gouvernement français y avait mis son veto. Mais quelque temps plus tard, ce veto était levé et le contrat pouvait être signé en 1991. De grosses commissions versées à des responsables politiques et militaires à Taiwan, en Chine et en France avaient largement contribué à ce retournement miraculeux.

Les autorités de Taiwan dénoncèrent le fait, et une enquête fut ouverte pour en connaître les bénéficiaires. Les choses se seraient un peu emballées lorsqu'un agent secret a fourni à Villepin une longue liste de comptes de la société Clearstream où avaient été versées ces commissions occultes, liste sur laquelle aurait figuré le nom de Nicolas Sarkozy. D'autant plus que peu de temps après le juge Van Ruynbecke recevait lui aussi une série de CD-Roms anonymes avec les comptes en question, et ne tardait pas à conclure à une manipulation.

Ces rocambolesques histoires d'agents secrets et de corbeau évoquent plus les Pieds Nickelés que le monde politique tel qu'il aime à se mettre en scène. Mais l'existence d'une société comme Clearstream, elle, n'a rien d'anecdotique. C'est un organisme fondé en 1970 par 66 des plus grandes banques européennes, pour faire passer discrètement les frontières à des montagnes d'argent. Les sommes que ces banques, et bien d'autres depuis, y ont déposées représentent 50 fois le budget annuel de la France. Son siège est au Luxembourg, paradis fiscal et judiciaire où le secret bancaire est sans faille. Officiellement, cela s'appelle une «chambre de compensation internationale».

La réalité, avec ce système, c'est qu'il n'y a plus de virement de pays à pays. Tout se passe, en interne, au sein de Clearstream, au Luxembourg. L'argent viré par une banque panaméenne à une banque française passe simplement d'un compte Clearstream à un autre, dans la plus grande discrétion. Et derrière les banques, il y a leurs clients qui peuvent être des industriels, des dictateurs, et parfois des trafiquants de drogue ou des hommes politiques corrompus. Pour ajouter à l'opacité du système il faut dire qu'une bonne partie de la clientèle de Clearstream est constituée par des banques situées dans d'autres paradis fiscaux, des îles Caïmans aux îles Vierges, qui sont souvent elles-mêmes des filiales de banques américaines ou européennes.

Tout un système organisé de façon opaque qui sert à camoufler les opérations quotidiennes des capitalistes, à faire en sorte par exemple que l'argent des faillites qui jettent des milliers d'ouvriers à la rue ne soit pas perdu pour tout le monde ou que les grandes fortunes de la planète soient largement exonérées d'impôts.

Ces coups tordus des banquiers sont à une autre échelle que ceux de la droite française qui s'étripe en ce moment, au vu et au su de tous.

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