- Accueil
- Lutte ouvrière n°1970
- Après le congrès de la CGT : Peut-on être "solidaire", "efficace", quand on enterre la lutte de classe?
Leur société
Après le congrès de la CGT : Peut-on être "solidaire", "efficace", quand on enterre la lutte de classe?
Le 48e congrès de la CGT a confirmé les orientations de la direction confédérale. Le cours dans lequel l'équipe dirigeante s'est engagée depuis plusieurs congrès se trouve aujourd'hui accentué et colle bien au slogan passe-partout répété durant tout ce congrès: "Nous, la CGT, nous la voulons proche, solidaire, efficace", slogan que bien d'autres syndicats pourraient reprendre, alors que les termes de "lutte" et plus encore de "lutte de classe" ou de "rapport de forces" tendent à être de plus en plus oubliés.
Cette orientation a été votée à 80% mais, à considérer la façon dont les discussions et les votes préparatoires ont eu lieu, et la manière dont le mandatement au congrès s'est opéré, ce vote ne correspond pas à ce que pensent et souhaitent nombre de militants. Durant le congrès, la direction en place a eu toute latitude pour les organiser à sa façon, en faisant durer les thèmes qui l'intéressaient, en écartant un certain nombre d'interventions critiques ou qui abordaient des sujets qui ne lui convenaient pas. Ainsi, le bilan des réactions à l'offensive patronale des trois années écoulées, qui faisait tout de même l'objet d'un des deux rapports soumis au vote, celui d'activité, n'a pratiquement pas été discuté. L'évocation de la mobilisation contre le CPE, si elle a été applaudie à plusieurs reprises, n'a pas fait l'objet d'un débat spécifique, hormis la référence répétée au "syndicalisme rassemblé", considéré comme l'explication et la raison principale de la victoire. Quant aux exemples de luttes, ils ont été rarissimes dans les interventions sélectionnées des délégués.
L'objectif de la direction en place était de donner de la CGT une image "moderne", plus nettement en rupture avec l'image ouvrière et de lutte de classe de la CGT de naguère. Comme l'a rappelé Bernard Thibault dans son rapport introductif: "Ensemble, nous avons au quotidien articulé contestation, mobilisation avec négociations et propositions pour être résolument à l'offensive." Mais c'est surtout de la négociation et des propositions de la CGT qu'il a été question.
Ainsi, la CGT s'affirme partisan de "nouveaux droits sociaux, économiques et humains". Parmi eux, elle insiste sur la nécessité d'une "sécurité sociale professionnelle", élément d'un "statut du travail salarié". Dans cette perspective, la CGT donne des conseils de bonne gérance aux entreprises qui deviennent, dans les discours des responsables de la CGT, des éléments désincarnés, qui ne seraient plus motivés par le désir de faire des profits ni guidés par la volonté d'accroître l'exploitation des salariés. Cela donne des formules comme: "L'entreprise est un terrain économique et idéologique que nous devons disputer au patronat qui en use, aux actionnaires qui en abusent." Cette "citoyenneté à l'entreprise" est au coeur de ce qu'entend Bernard Thibault quand il déclare au congrès: "Oui, il nous faut des réformes."
Un tel discours est totalement déconnecté de la situation réelle, subie par l'immense majorité du monde du travail, marquée par les reculs successifs de ces dernières décennies, aussi bien en ce qui concerne l'emploi, les salaires, que les conditions de travail et de vie. Mais le congrès n'a pas davantage discuté de la contre-offensive nécessaire, Bernard Thibault se contentant de formules comme: "La confiance doit changer de camp après l'abandon du CPE". En revanche, les dirigeants confédéraux ont ironisé à plusieurs reprises, durant le congrès, contre tous ceux qui défendent la référence à la "lutte de classe" et usent du terme "travailleurs" auquels il préfèrent celui de "salariés" dont il faut prendre en compte les "aspirations individuelles". Le vocabulaire choisi par les dirigeants confédéraux est révélateur.
Pour peser et assurer le succès de son programme dit "de conquêtes", la direction a martelé son objectif: un million de syndiqués, contre les 700000 officiellement recensés à l'heure actuelle. Mais sur quelle base et pour quelle perspective? Pour que des syndiqués plus nombreux aident aux succès, pour qu'il y ait des syndiqués qui soient aussi des militants de la classe ouvrière, défendant ses intérêts immédiats et à long terme, il faudrait qu'il y ait une politique en réponse à chaque offensive du patronat et des politiciens complices. Le congrès de Lille a montré que cette préoccupation n'était pas la priorité de la direction confédérale.
Ainsi, Bernard Thibault n'a pas expliqué aux délégués comment il faudrait s'y prendre pour "faire la peau" au CNE ou en finir avec la précarité.
La direction de la CGT prétend coller aux évolutions du salariat, qu'elle analyse à sa façon, insistant sur la place des cadres et des techniciens. Elle veut être une force de "négociation" et de "proposition". Mais elle oublie que, même si les termes la défrisent, il y a toujours deux camps, deux classes, aux intérêts inconciliables.
Reste que nombre de militants CGT, qui, eux, connaissent la lutte de classe pratiquée par le patronat, sont loin d'être sur la même longueur d'onde que Bernard Thibault. Et c'est heureux!