Île de la Réunion, mars 1946 : La départementalisation12/04/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/04/une1967.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Île de la Réunion, mars 1946 : La départementalisation

Il y a 60 ans, en mars 1946, la Réunion devenait département français, tout comme la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. Auparavant, son statut était celui d'une colonie, ce qui impliquait que les lois votées en métropole n'étaient pas systématiquement appliquées dans l'île. Pour cela, il fallait à chaque fois une décision du gouvernement français.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la situation de l'île était catastrophique pour l'immense majorité de la population, en particulier pour les plus pauvres. Ils souffraient de maladies, du paludisme en particulier. Les salaires étaient très bas, le coût de la vie élevé, les infrastructures scolaires et sanitaires quasi inexistantes.

Cette situation avait empiré pendant la guerre. Cependant, tous ne la vécurent pas de la même façon: tandis que les riches continuaient à bien vivre, de nombreuses familles réunionnaises n'avaient qu'un seul repas par jour, très souvent constitué uniquement de manioc.

La départementalisation, une revendication de la gauche

Dans ce contexte, des militants communistes, syndicalistes, démocrates ou humanitaires se regroupèrent au sein du CRADS (Comité républicain d'action démocratique et sociale) dont l'objectif était d'obtenir l'assimilation de l'île à la France. Cette revendication n'était d'ailleurs pas nouvelle. Elle fut évoquée sous la IIe et la IIIe Républiques et plus encore durant les années 1930, à l'époque du Front Populaire. Une des revendications des organisations ouvrières était alors: "La Réunion, département français". Ce furent surtout des hommes de gauche qui la réclamèrent. Les possédants, eux, s'inquiétaient plutôt de voir appliquer dans l'île les lois de la métropole, surtout celles concernant la législation sociale et l'impôt sur le revenu, inexistant dans les colonies.

Pour le CRADS, dont les principaux dirigeants étaient de Lépervanche et Raymond Vergès, le père de l'actuel dirigeant du Parti Communiste Réunionnais, cette revendication devait permettre l'application des mesures sociales votées en métropole, et donc une amélioration des conditions de vie des masses populaires. Parmi les slogans de la campagne du CRADS lors des élections municipales et législatives de 1945, on trouvait: "La Réunion, département français; les personnes âgées pourront ainsi bénéficier d'une allocation vieillesse, d'une meilleure protection sociale, (existera aussi ) la scolarisation gratuite pour tous les enfants."

Aux élections d'octobre 1945, Raymond Vergès et de Lépervanche furent élus à l'Assemblée. Après quoi, ils demandèrent avec des députés antillais et guyanais le changement de statut de l'île, ainsi que celui de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.

Revendiquer l'application à la Réunion de toutes les lois sociales en vigueur en France était tout à fait normal. Mais cela aurait pu se faire sans cautionner les autorités de la métropole et sans pousser la population à placer sa confiance dans un État bourgeois et colonial dont les forces réprimaient les travailleurs à chacun de leurs mouvements. Mais Raymond Vergès, de Lépervanche et les députés des Antilles ou de Guyane se répandirent plutôt en louanges à l'égard des représentants de l'impérialisme français.

L'allégeance à l'impérialisme français

À cet égard, le discours de Vergès, et plus encore celui que prononça le Martiniquais Aimé Césaire et qu'appuya Vergès, lors de la discussion de la loi de départementalisation, furent des plus significatifs. Ainsi, Vergès expliquait: "Depuis toujours, nous avons demandé notre intégration à la France. Hier, quand elle resplendissait de tout son éclat, nous voulions nous fondre en elle. Aujourd'hui que sa puissance a été amoindrie, que la trahison de ses élites officielles, que les plus cruelles épreuves, que le massacre organisé par des brutes savantes l'ont si atrocement blessée, notre volonté n'est que davantage affermie."

De son côté, Césaire était encore plus net quand il s'exclamait: "À l'heure où, ça et là, des doutes sont émis sur la solidité de ce qu'il est convenu d'appeler l'Empire, à l'heure où l'étranger se fait l'écho des rumeurs de dissidence, cette demande d'intégration constitue un hommage rendu à la France et à son génie. (...) Si les Antilles et la Réunion ont besoin de l'assimilation pour sortir du chaos politique et administratif dans lequel elles se trouvent plongées, elles en ont surtout besoin pour sortir du chaos social qui les guette. Tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que les problèmes se posent à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion avec une telle acuité que la paix sociale est gravement menacée." Et pour conclure, Césaire affirmait: "Quatre colonies arrivées à leur majorité demandent un rattachement plus strict à la France. Vous apprécierez cette pensée à sa juste valeur, j'en suis sûr, à l'heure où l'on entend des craquements sinistres dans les constructions de l'impérialisme."

On ne pouvait faire plus nettement allégeance à l'impérialisme français, ni plus nettement se poser comme le garant de son ordre social. Mais les gouvernements français, eux, ne furent pas particulièrement reconnaissants. S'il y eut un changement de statut, il n'y eut pas de changement immédiat dans les conditions de vie de la classe ouvrière et des plus pauvres. Contrairement à ce que disait de Lépervanche, qui avait assuré qu'à la fin de l'année 1946 tous "jouiront des droits économiques et sociaux accordés aux Français du continent", il fallut en fait attendre des années, voire des dizaines d'années; il fallut aussi bien des luttes pour que soient appliquées à la Réunion les lois de la métropole. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le smic local n'a été aligné sur celui de France... qu'en 1996!

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