Afrique de l'Ouest : Charles Taylor jugé par ceux qu'il a servis05/04/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/04/une1966.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afrique de l'Ouest : Charles Taylor jugé par ceux qu'il a servis

Le gouvernement du Nigeria a finalement donné suite à la demande d'extradition de l'ex-président du Liberia Charles Taylor, demande formulée par la nouvelle présidente de ce pays, Ellen Jonhson-Sirleaf.

Chassé de la capitale Monrovia et du pouvoir en août 2003, l'ex-dictateur libérien vivait depuis en exil dans le sud du Nigeria, suite à un accord international conclu sous l'égide de l'ONU et prétendant mettre fin à la guerre civile dans la région.

En fait, depuis juin 2003, Taylor est inculpé par le Tribunal spécial pour le Sierra Leone (TSSL) de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ainsi que de viols, de meurtres, d'enrôlement forcé d'enfants soldats et de pillages. Ces accusations reposent notamment sur son rôle dans les atrocités commises par le Front révolutionnaire uni (RUF). Ce mouvement, que Taylor a financé et armé en échange de diamants récoltés dans les mines de Sierra Leone, s'est illustré durant la guerre civile sierra-léonaise, qui dura jusqu'en 2001, par une vague d'actes de terreur, d'assassinats et de mutilations de milliers de personnes.

Les grandes puissances, et plus particulièrement les dirigeants américains, semblent avoir fait pression sur les gouvernements libérien et nigérian pour amener Taylor à comparaître devant les juges du TSSL, alors qu'elles ont leur part de responsabilité dans l'ascension et le maintien au pouvoir de Taylor.

Historiquement, le Liberia appartient à la zone d'influence américaine puisque ce petit État fut fondé au début du 19esiècle par des sociétés philanthropiques américaines qui voulaient favoriser le retour d'esclaves affranchis en Afrique. Cette opération fut l'occasion pour les États-Unis de s'implanter et de participer au pillage de ce pays et de l'Afrique. Depuis, toutes les ressources du Liberia -hévéas et minerai de fer notamment- sont exploitées par de grands trusts américains, comme Firestone qui posséda jusqu'à 400000 hectares destinés à la production de caoutchouc.

Lorsque fin 1989 Taylor déclencha la guérilla qui devait renverser le régime impopulaire de Samuel Doe, soutenu par les USA, il trouva un certain appui dans la population libérienne, mais il bénéficia surtout de l'aide logistique de la Guinée et de la Côte-d'Ivoire voisines. Cette aide, il ne pouvait l'obtenir sans l'aval de la France, trop contente de pouvoir pénétrer dans la zone d'influence anglo-américaine. La guerre civile et le partage du territoire entre les différentes fractions armées qui s'ensuivirent firent le bonheur des différents camps impérialistes qui purent ainsi s'approprier les richesses naturelles du Liberia. Leurs rapines s'élargirent lorsqu'en 1991 la guerre s'étendit au Sierra Leone, pays voisin regorgeant entre autres de diamants. Les conséquences de cette guerre civile furent terribles pour les populations, qui comptèrent des centaines de milliers de morts et subirent des horreurs comme par exemple l'amputation systématique des mains ou des bras.

En 1997, les impérialismes américain, français et anglais décidèrent d'entériner la suprématie sur le terrain de Taylor et favorisèrent son élection comme président du Liberia. La guerre civile ne prit pas fin pour autant. C'est pourquoi finalement Taylor dut à son tour quitter le pouvoir en août 2003, devant l'avancée des troubles rebelles des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD). Il le fit, non sans avoir préalablement obtenu des grandes puissances l'arrêt des poursuites engagées contre lui par le tribunal international.

En fait les atrocités commises par Taylor et ses alliés pèsent peu aux yeux de l'ONU et des dirigeants occidentaux. Le problème pour eux est qu'en dépit de son exil Taylor conserve de nombreux appuis et qu'il est accusé d'avoir, à plusieurs reprises, fomenté des troubles dans la région. En réclamant l'extradition de Taylor puis sa comparution devant le tribunal international, c'est plus vraisemblablement cette menace pour ses intérêts actuels que l'impérialisme, et l'impérialisme américain tout particulièrement, veut aujourd'hui neutraliser. Au passage, en faisant passer l'ex-dictateur devant le tribunal international, les dirigeants des grandes puissances se donnent le beau rôle, et en profitent pour faire oublier leurs propres responsabilités dans le drame qui a ensanglanté pendant quatorze ans cette partie de l'Afrique.

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