Ukraine : L'après-révolution "orange"... amère30/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1965.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : L'après-révolution "orange"... amère

Même si les résultats définitifs se feront attendre "au moins une semaine" -selon les officiels, sans qu'en Occident, cette fois, on n'y voie un délai suspect que le pouvoir pourrait mettre à profit pour arranger ces résultats-, une chose est certaine: les élections législatives ukrainiennes du 26 mars ont été une défaite pour le président Iouchtchenko.

Seize mois à peine après son arrivée au pouvoir, à la faveur de ce qu'il avait appelé la "révolution orange", Iouchtchenko a largement déçu une grande partie de ceux qui avaient cru à ses promesses d'amélioration de leur situation. Et cela se voit. Ainsi, l'ancien bras droit de Iouchtchenko durant la "révolution orange", Ioulia Timochenko, qui est devenue sa rivale et qu'il a expulsée du gouvernement il y a huit mois, voit sa formation (le Bloc Ioulia Timochenko) devancer de 8 points le regroupement électoral pro-présidentiel, NSNU-Notre Ukraine qui n'obtient que 16% des voix. Plus significatif encore de ce désaveu, ces deux formations identifiées comme "orange" sont dépassées par le Parti des Régions (PR), qui obtiendrait plus de 30% des suffrages. Ce parti est pourtant celui que conduit Ianoukovitch, l'ex-Premier ministre de Koutchma, qui avait tenté de se faire élire président par des fraudes massives, fin 2004, ce qui avait déclenché la "révolution orange"!

Il y avait quarante-sept partis ou listes en lice, certains affairistes en ayant créé spécialement pour essayer de se faire élire et ainsi d'obtenir une immunité parlementaire. Mais la plupart ne sont appelés, au mieux, qu'à jouer les comparses dans les discussions en coulisses entre les trois principales formations pour savoir qui dirigera le gouvernement et quels partis y seront associés. Au lendemain du scrutin, un accord semblait se profiler entre le président et sa soeur ennemie Timochenko. Se concrétisera-t-il et si oui, durera-t-il, alors que Iouchtchenko, il y a à peine quelques mois, avait privé celle-ci de son poste de Premier ministre qu'elle avait transformé en machine de guerre contre le clan présidentiel? La question n'a d'intérêt que pour ces gens qui, au sommet de l'État ukrainien, se battent pour des postes et pour les sources de revenus qui en dépendent.

Pour la population, cela n'a pas grand-chose de secret, bien que les bénéficiaires de ce pillage au sommet cherchent à ne pas apparaître. Après leur victoire, au début de l'année 2005, à peine installés au pouvoir à la présidence ainsi qu'à la tête du gouvernement, les clans Iouchtchenko et Timochenko se sont lancés à la gorge l'un de l'autre à l'occasion de la re-privatisation d'entreprises géantes que des favoris du pouvoir précédent, celui de Koutchma, avaient accaparées. La bataille a été si violente que les nouveaux clans gouvernants se sont neutralisés et que les hommes des clans Koutchma et Ianoukovitch en ont généralement profité pour rester en place. Elle s'est accompagnée d'un tel déballage d'accusations circonstanciées de corruption qu'on ne pouvait qu'en avoir la nausée. Tout le monde pouvait voir patauger dans les scandales et les détournements de deniers publics des gens qui, un an à peine auparavant, n'avaient pas de mots assez forts pour fustiger les "voleurs" de l'équipe Koutchma et promettre l'avènement d'un régime honnête assurant la prospérité du pays.

En fait, les seuls dont cela a assuré la prospérité sont les hommes (et femmes) au pouvoir, et les bureaucrates-affairistes que chacun des clans dirigeants traîne dans son sillage. Ainsi, l'accord par lequel s'est conclue la "guerre du gaz" de janvier 2006 entre la Russie et l'Ukraine a vu la création d'une société mixte russo-ukrainienne, RosUkrEnergo. Celle-ci a le monopole de l'approvisionnement gazier de l'Ukraine et c'est par ses comptes suisses que transite l'argent du gaz. Il se dirige alors vers les comptes off-shore du fournisseur russe Gazprom, ainsi que ceux d'heureux élus... de l'entourage du président ukrainien. Ce véritable "pot-aux-oranges" a été dénoncé par Timochenko, furieuse de n'avoir pu faire profiter son clan d'une aubaine qu'elle sait en or: elle-même a fait fortune, il y a une dizaine d'années, en tant que ministre et... présidente d'Itera, l'ancêtre de RosUkrEnergo! Et Timochenko a juré, si elle revient aux affaires, de casser l'accord passé en janvier dernier, en son absence du gouvernement.

Comment s'étonner, dans ce contexte, que plus de quatre électeurs sur dix n'aient pas eu envie d'aller voter? Et que, parmi ceux qui se sont déplacés, une proportion non négligeable, au moins dans la classe ouvrière, aient choisi de mettre dans l'urne un bulletin de vote appelé "contre tous"? Ce bulletin de vote, version locale du bulletin blanc et comptabilisé en tant que tel, a au moins le mérite d'affirmer clairement que l'on ne se reconnaît dans aucun des partis et candidats présentés.

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