Mars 1956 : L'indépendance du Maroc et de la Tunisie30/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1965.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Mars 1956 : L'indépendance du Maroc et de la Tunisie

Il y a cinquante ans, le 2mars 1956, la France reconnaissait l'indépendance du Maroc, et le 20 mars celle de la Tunisie. C'était l'aboutissement d'un processus, amorcé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui remettait en cause l'ordre colonial que la France imposait en Afrique du Nord depuis longtemps. Mais dans l'immédiat, c'était surtout une façon pour le gouvernement français de se donner les moyens de poursuivre la guerre dans le troisième pays du Maghreb, l'Algérie.

Le régime du protectorat

À la différence de l'Algérie, le Maroc et la Tunisie étaient placés sous le régime du "protectorat" où la mainmise du colonialisme s'appuyait davantage sur des intermédiaires locaux, notables et structures traditionnelles de la bourgeoisie et des classes possédantes autochtones, représentées en Tunisie par le bey et un ministère tunisien, et au Maroc par le sultan.

La situation n'en était pas moins explosive. En Tunisie, avec la fin de la guerre, l'agitation politique et sociale avait repris de plus belle. En janvier 1945, Ferhat Hached avait fondé l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) qui s'implanta rapidement et devint le fer de lance du mouvement de libération nationale. Très populaire, Ferhat Hached mit le mouvement syndical tunisien au service du Néo-Destour ("Destour" signifie "Constitution" en arabe), un parti nationaliste modéré créé dans les années 1930 et dont l'avocat Habib Bourguiba était l'un des fondateurs.

L'objectif de Bourguiba était de trouver un compromis "honorable" avec la France pour obtenir, à terme, l'autonomie interne de la Tunisie. Mais le gouvernement français, sensible à la pression des colons, n'eut que quelques velléités de conciliation avant d'opposer, en décembre 1951, une fin de non-recevoir aux revendications tunisiennes. Dans une déclaration, il affirmait même que "le lien unissant la France et la Tunisie" était "définitif".

L'UGTT riposta par une grève de trois jours (du 21 au 23décembre 1951). La répression s'ensuivit avec des arrestations et des licenciements en masse.

Début janvier 1952, la nomination d'un nouveau Résident, partisan de la manière forte, Jean de Hauteclocque, entraîna de nombreuses manifestations, notamment à Tunis et Bizerte, qui furent une nouvelle fois violemment réprimées. Le Néo-Destour décida de résister; Bourguiba ainsi que la plupart des dirigeants nationalistes furent arrêtés et déportés, de même que les dirigeants du PC et les dirigeants syndicalistes. Seul Ferhat Hached, qui jouissait d'un fort soutien international et notamment des syndicats américains, put rester en liberté.

Dans les jours qui suivirent, les manifestations redoublèrent et s'étendirent. L'armée française les réprima avec la plus grande brutalité. Ainsi, du 28 janvier au 1erfévrier, la région du Cap Bon fut ratissée par la Légion, appuyée par des blindés et des avions, faisant des dizaines de victimes parmi les civils, y compris des bébés.

Finalement, Hauteclocque fit arrêter Chenik, le Premier ministre tunisien, ainsi que trois de ses ministres, et imposa un nouveau gouvernement complètement fantoche. Quant à Ferhat Hached, il fut assassiné par des membres d'une organisation terroriste de colons, la Main Rouge, avec la complicité de la police et la bénédiction de Hauteclocque.

En riposte aux massacres perpétrés par l'armée et les colons, des actes de sabotage et de terrorisme eurent lieu un peu partout dans le pays. Partis du sud, des mouvements de guérilla armée, animés par ceux que l'on allait appeler les "fellagha", touchèrent une portion croissante du territoire.

Au Maroc, le sultan à la tête du mouvement

L'assassinat de Ferhat Hached provoqua des réactions dans plusieurs pays arabes, notamment au Maroc. Les syndicats organisèrent une manifestation à Casablanca qui, rapidement, prit un caractère antieuropéen. Certains colons furent lynchés. La troupe répondit par un massacre, faisant des centaines de morts dans la population marocaine.

Au Maroc aussi, le mouvement nationaliste se développait depuis la fin de la guerre. Ce fut le sultan lui-même qui en prit la tête, appuyé par l'organisation nationaliste Istiqlal ("Indépendance" en arabe). Ainsi, le 14 avril 1947, à Tanger, le sultan affirma dans un discours remarqué que le Maroc était "décidé à récupérer tous ses droits".

Du côté français, le gouvernement fit la sourde oreille. Mais en janvier 1951, il somma le sultan, sous peine de déposition, de renvoyer les membres de son cabinet appartenant à l'Istiqlal. Le sultan capitula. Mais le 18novembre 1952, à l'occasion de la Fête du trône, il revint à la charge, revendiquant "l'émancipation politique totale, les libertés civiques et la personnalité internationale du Maroc". La réaction ne se fit pas attendre longtemps; quelques mois plus tard, le 20août 1953, le sultan lui-même était déposé et déporté à Madagascar.

Cette déposition ne fit que mettre de l'huile sur le feu. Les émeutes et les attentats visant la présence française durèrent jusqu'en 1954 et firent des dizaines de morts.

Vers l'indépendance

S'ajoutant à la guerre d'Algérie commencée en novembre 1954, la résistance du colonialisme français commençait donc à provoquer en Tunisie et au Maroc une situation explosive. Quelques signes montraient que le mouvement des masses risquait désormais d'échapper aux nationalistes modérés qui s'étaient placés à sa tête. Prenant conscience du risque d'une explosion incontrôlable, les dirigeants de l'impérialisme français modifièrent leur politique, se disant prêts à des accommodements, du moins en Tunisie et au Maroc. Dans ces deux pays, à la différence de l'Algérie, où le mouvement pour l'indépendance avait pris un caractère radical et insurrectionnel, les dirigeants nationalistes avaient montré jusque-là leur capacité à encadrer les masses et leur respect des intérêts de l'impérialisme français. Les dirigeants français trouvaient donc une solution politique toute prête, qui leur permettait d'accorder l'indépendance tout en préservant l'essentiel des intérêts politiques et économiques de la bourgeoisie française en Tunisie et au Maroc.

D'autre part, si dans ces deux pays le poids de la minorité européenne et des partisans du colonialisme à tout prix existait, il était plus limité qu'en Algérie, et l'impérialisme français n'avait pas à craindre la même résistance des "ultras" du colonialisme.

C'est au socialiste Mendès-France qu'il revint d'incarner ce changement de politique. Quelques semaines après son investiture, dans un discours prononcé à Carthage le 31juillet 1954, il reconnut le principe de l'autonomie interne de l'État tunisien. Les chefs du Néo-Destour se déclarèrent satisfaits. Parallèlement, un accord fut négocié secrètement avec Bourguiba: un gouvernement de transition, comprenant des ministres néo-destouriens et des notables modérés, fut mis sur pied. En échange, Bourguiba s'engageait à obtenir la reddition des fellagha. Le 1erjuin 1955, le retour de Bourguiba, devenu le "Combattant suprême", plus encore que la signature des accords sur l'autonomie, fut accueilli dans la liesse et le pays connut le plus grand rassemblement populaire de son histoire.

Au Maroc, dès le 16 novembre 1955, le sultan fut ramené d'exil et remis sur le trône sous le nom de MohammedV.

Mais si ces deux pays du Maghreb avaient finalement obtenu leur indépendance, ils n'avaient pas pour autant échappé à la dépendance de leur économie et au pillage de leurs ressources par l'impérialisme. Une conjonction des luttes des peuples des trois pays du Maghreb avait été évitée, et n'était d'ailleurs pas dans la politique des dirigeants nationalistes tunisiens et marocains, ni même dans celle du FLN algérien, qui ne cherchaient au fond qu'à placer chacun des pays sous le contrôle de la bourgeoisie autochtone. Alors qu'une coopération économique et, pourquoi pas, une unité des trois pays leur aurait donné bien plus de moyens pour résister aux pressions de l'impérialisme. Plus tard, leurs divisions, allant parfois jusqu'à l'affrontement armé, allaient donner à l'impérialisme des moyens supplémentaires de poursuivre sa domination.

Aujourd'hui, c'est cette domination, elle-même appuyée par les classes dirigeantes et les régimes marocain, algérien et tunisien, qui maintient les peuples du Maghreb dans la misère et le sous-développement. Après la lutte pour l'indépendance, la lutte pour leur libération sociale commune reste à mener.

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