Allemagne : Halte aux interdictions professionnelles!30/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1965.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne : Halte aux interdictions professionnelles!

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté samedi 25 mars à Karlsruhe, ville où siège la Cour constitutionnelle fédérale allemande, contre les interdictions professionnelles en Allemagne, et en particulier pour soutenir Michael Csaszkóczy. Cet étudiant, qui avait réussi ses études et s'apprêtait à devenir professeur de l'enseignement secondaire, s'est en effet vu, depuis août 2004, interdit d'exercer sa profession dans le Bade-Wurtemberg. La raison est qu'il est membre de l'Initiative Antifasciste de Heidelberg, et considéré de ce fait comme n'offrant pas de "garantie" de s'engager pleinement pour la défense de "l'ordre fondamental démocratique et libéral" censé régner en Allemagne. Un an plus tard, à la rentrée scolaire 2005, le Land de Hesse, où il avait déménagé, a refusé, pour les mêmes raisons, de l'embaucher. Il vit aujourd'hui de ses allocations de chômeur de longue durée (360 euros par mois).

Ce cas scandaleux vient rappeler la législation répressive qui a existé en Allemagne pendant des décennies. Dès le début de la guerre froide, le gouvernement du chancelier de droite Konrad Adenauer a organisé une véritable chasse aux sorcières, à l'instar de celle qui avait lieu à la même époque aux États-Unis. Un décret de septembre 1950 a ainsi interdit l'entrée dans la fonction publique aux membres de dix-neuf organisations, proches du Parti Communiste (KPD) et considérées comme extrémistes. Ce fut en particulier le cas des anciennes victimes du régime nazi, regroupées dans l'association VVN-BdA. S'appuyant sur de nombreux juges et policiers qui étaient déjà en fonction sous Hitler, la répression alla crescendo jusqu'à l'interdiction du KPD en août 1956.

Ce n'est qu'au cours des années 1960, à la faveur de la détente entre les États-Unis et l'URSS et du calme social qui prévalait dans le pays, que la répression s'est atténuée. Cela a permis au Parti Communiste de réapparaître au grand jour en 1968 mais il ne put le faire que sous un nom légèrement modifié (DKP), car son interdiction n'a en fait jamais été levée.

Mais après la vague de contestation des années 1967-1969, le pouvoir en est revenu rapidement aux vieilles méthodes policières. En janvier 1972 le gouvernement, dirigé alors par le chancelier social-démocrate Willy Brandt, adopta le "décret contre les extrémistes", qui permit d'interdire l'entrée et le maintien dans la fonction publique et les services publics aux "ennemis de la Constitution". Cela touchait les fonctionnaires comme ceux qui ne l'étaient pas. Il n'y avait pas besoin d'avoir commis une infraction pour en être victime. Il s'agissait d'un véritable délit d'opinion car c'était l'engagement politique, même dans des organisations légales, ayant le droit de se présenter aux élections, qui était ainsi criminalisé.

Dans le cadre de ce décret, validé par le Tribunal constitutionnel en 1975, environ 3,5 millions de personnes ont fait l'objet d'une enquête. L'embauche dans la fonction publique a été refusée à 11000 d'entre elles et 265 furent licenciées. Dans la pratique, tous les supposés "extrémistes" étaient concernés mais les néonazis furent très peu touchés. L'immense majorité de ceux qui en furent victimes étaient des militants de gauche ou d'extrême-gauche, essentiellement des membres du DKP, mais aussi quelques sociaux-démocrates.

À partir du début des années 1980, ces pratiques ont progressivement reculé puis sont tombées en désuétude avec la disparition de la RDA. Mais il n'y eut aucune réhabilitation générale de ceux qui avaient été victimes de cette chasse aux sorcières. Certains ont réussi à se faire réembaucher dans la fonction publique, mais d'autres se battent encore pour obtenir réparation. Pourtant, un arrêt de 1995 de la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Allemagne pour avoir exclu une enseignante pour raisons politiques. Enfin si certains Länder ont aboli cette législation, ce n'est pas le cas partout. Dans le Land de Bade-Wurtemberg, par exemple, le décret de 1972 n'a été formellement suspendu qu'en 2000, après une décision du Parlement régional. Mais, dès 2003, de nouvelles "prescriptions administratives" furent mise en place, qui ont permis la procédure engagée contre Michael Csaszkoczy.

Voilà comment, dans un pays qui se prétend démocratique, des méthodes policières qui étaient déjà en vigueur sous le gouvernement de Prusse, que les nazis ont poussé à leur paroxysme et qui ont ensuite été reprises à l'époque de la guerre froide, n'ont pas encore disparu aujourd'hui.

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