Le classement annuel des milliardaires en dollars publié par le magazine Forbes montre que le cru 2006 est en progrès: le club des milliardaires compte aujourd'hui 793 membres, pour une fortune totale de 2600 milliards de dollars. Cette somme représente presque autant que le Produit Intérieur Brut nominal de l'Inde et de la Chine réunies.

Sur cette planète, moins d'un millier de Terriens ont les moyens d'acheter la richesse annuelle produite par 2,4 milliards d'habitants.

L'inégalité atteint de nouveaux sommets dans l'histoire de l'humanité.

Bill Gates, le PDG de Microsoft, reste le numéro un mondial, avec un patrimoine de plus de 50 milliards de dollars. La plus jeune milliardaire a 22 ans: il s'agit de Hind Hariri qui a hérité de 1,4 milliard de dollars à la mort de son père, Rafik Hariri, l'affairiste et ancien Premier ministre libanais assassiné en février 2005. Avec un tel pécule, elle peut encore attendre un moment avant d'entrer dans la vie active.

Dans ce palmarès, la bourgeoisie bien de chez nous n'a pas à rougir. Français le plus riche, Bernard Arnault obtient la septième place du classement général avec 21,5 milliards de dollars. L'an dernier, il n'obtenait "que" la 21e place avec 17 milliards de dollars. Il a donc gagné en un an 4,5 milliards de dollars. Cela représente 1200 euros, le smic brut, toutes les dix secondes, en y incluant les heures de sommeil. Le temps de lire cet article (ce qui serait assez étonnant), Bernard Arnault aurait gagné davantage que ce qu'aurait gagné en un an une des vendeuses de la Samaritaine qu'il a mises au chômage.

Bernard Arnault est le PDG de LVMH, le numéro un mondial du luxe qui regroupe les marques comme Vuitton, les parfums Dior, les bijoux Chaumet, les grandes maisons de champagne comme Moët Hennessy, Veuve Clicquot ou Krug. Cela tombe bien. Plus les riches s'enrichissent, plus les produits de Bernard Arnault se vendent. Par exemple, une des réussites commerciales 2005 du secteur de l'horlogerie est la montre de Tag Heuer, spécialement conçue pour les joueurs de golf car, légère, elle se contente de donner l'heure! "Certes, le public visé est limité", précise le responsable, "mais il est aisé"! À 975 euros, cette montre s'est vendue comme des petits pains, ce qui a provoqué une rupture de stock.

Mais l'année 2005 a vu la création du chef-d'oeuvre, selon LVMH, de l'horlogerie: une montre Zenith, un miracle de précision dont les sonneries ont été composées avec l'aide de chefs d'orchestre. "Aujourd'hui ou dans un siècle", nous explique-t-on, "ces montres sauront séduire ceux qui préfèrent le raffinement subtil au luxe tapageur, le classicisme intemporel aux modes éphémères." Intemporel ou éphémère, le smicard a peu de chance de sombrer sous son charme car, à 510000 euros, il lui faudra travailler quarante et un ans pour s'en procurer un exemplaire. Un peu cher pour lire l'heure.

On pourrait multiplier les exemples, dans la joaillerie, la maroquinerie. L'industrie du luxe est sans doute le secteur dont la production est la moins indispensable à l'humanité, à part l'armement.

LVMH a connu une progression en 2005 de 11% des ventes et de 21% du résultat net. Ce bénéfice va en priorité dans la poche des actionnaires, dont le premier est justement Bernard Arnault: le dividende a augmenté lui aussi de 21%.

Les heureux actionnaires ne manqueront pas d'arroser cela avec un grand cru du Châteaud'Yquem qui appartient à Arnault et qui se négocie entre 300 et 500 euros la bouteille. Chez ces gens-là, quand on aime, n'est-ce pas, on ne compte pas!

En tout cas, du point de vue des autres habitants de notre planète, se débarrasser au plus tôt du capitalisme et de ses milliardaires, ce ne serait pas du luxe.