Le développement du groupe Suez : Un enrichissement fortement aidé par les gouvernements08/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1962.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Le développement du groupe Suez : Un enrichissement fortement aidé par les gouvernements

Suez, candidat à la privatisation-absorption de Gaz de France, est un énorme conglomérat, spécialiste de l'eau via sa filiale la Lyonnaise des Eaux, ainsi que de l'environnement et de l'énergie. Au cours des décennies, ce groupe a réussi à se développer grâce à ses liens privilégiés avec les différents gouvernements, au point de peser aujourd'hui plus de 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Ses bénéfices pour 2005 dépassent largement les 2milliards d'euros.

Sans remonter à la construction du canal de Suez, qui pourtant a marqué cette société (le diplomate-affairiste Ferdinand de Lesseps profita des largesses et du soutien de Napoléon III), elle et ses actuelles filiales ont connu à de multiples reprises les faveurs du pouvoir. La nationalisation du groupe Suez par la gauche au pouvoir, en 1982, n'a pas été une mauvaise affaire pour ses actionnaires, d'autant que ceux-ci ont pu récupérer le groupe, reprivatisé dès 1987, avec une belle plus-value. Et ce n'était pas sa première expérience. Déjà en 1946, le gouvernement français avait nationalisé les secteurs du gaz et de l'électricité. La société "Lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage" rebaptisée "Lyonnaise des Eaux" s'en était sortie financièrement très bien, pour devenir progressivement l'acteur incontournable de toutes les collectivités locales, aux côtés de son comparse en monopole la Générale des Eaux.

Ce domaine est toujours une vache à lait très rentable, grâce à de multiples appuis politiques, acquis par copinage et pots-de-vin. Les procès où la Lyonnaise des Eaux, Suez ou ses filiales sont impliqués ne se comptent plus. De plus, le groupe est périodiquement accusé de pratiquer des prix trop élevés, profitant de sa situation de monopole. En novembre dernier, la Lyonnaise des Eaux a reçu une amende record de 400000 euros de la part du Conseil de la concurrence, pour avoir imposé au marché de Rungis des prix exorbitants pour la fourniture de l'eau.

Ce genre d'accusation existe également dans nombre de pays où Suez-Lyonnaise des Eaux est implantée. En Bolivie, le gouvernement lui garantissait un taux de rendement de 13% par an! En Argentine, le groupe a été accusé de faire payer des prix inabordables, dans un pays où une partie de la population laborieuse a été plongée dans la misère, de couper inconsidérément l'eau aux citoyens ne pouvant plus payer, et de refuser de réaliser des travaux d'extension indispensables. Finalement, Suez-Lyonnaise des Eaux s'est retirée de sa filiale Aguas Argentinas en septembre dernier.

Dans le domaine de l'électricité, Suez n'est pas un petit poucet. Et cela, grâce à... EDF qui lui a vendu en 2000 la CNR, la Compagnie nationale du Rhône. De fait, Suez est actuellement le deuxième producteur français d'électricité, avec 7% de la production totale d'électricité, et 25% de la production hydraulique. Il est également le premier producteur d'électricité de Belgique, via sa filiale Electrabel.

Les liens étroits de Suez avec le pouvoir se retrouvent dans la composition même de son conseil d'administration. On peut citer Edmond Alphandéry, qui fut ministre de l'Économie du gouvernement Balladur de 1993 à 1995; ou Anne Lauvergeon, PDG de la société française Areva (nucléaire), qui s'est fait connaître dans les années 1980 comme proche conseillère de Mitterrand à l'Élysée; ou encore Jean Peyrelevade, connu pour son passage en tant que PDG au Crédit Lyonnais, mais qui fut auparavant directeur de cabinet du Premier ministre socialiste Pierre Mauroy.

Mais Suez est une entreprise franco-belge, puisque son principal actionnaire, Albert Frère, est un milliardaire belge qui fit fortune dans les années 1970, en vendant ses usines sidérurgiques en dégringolade au gouvernement de Bruxelles. Le copinage patrons-gouvernement n'est donc pas une spécialité française, comme le prouve encore la présence au conseil d'administration d'Étienne Davignon, ancien ministre belge des Affaires étrangères et commissaire européen pendant de longues années.

Depuis longtemps, depuis toujours, Suez et ses filiales ont fait la fortune de leurs actionnaires en rançonnant ce qui devrait être du domaine du service public, l'énergie, l'eau, l'environnement, avec la bénédiction, la complicité active des gouvernements. Si la fusion Suez-Gaz de France se réalise, ce sera pour le groupe une occasion de plus de le faire.

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