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Février 1956 : Le rapport «secret»de Khrouchtchev
Le 24 février 1956, alors que le 20ème congrès du Parti Communiste de l'Union soviétique (PCUS) s'achevait, son premier secrétaire, Nikita Khrouchtchev y lut, à huis clos, devant des délégués auxquels il fut interdit de prendre des notes, un «rapport sur le culte de la personnalité et ses conséquences». Bien que ce rapport fût qualifié de «secret», son contenu ne tarda pas à filtrer.
Quand il fut mis sur la place publique en Occident car -en URSS il ne fut jamais publié- il fit l'effet d'une bombe, car il reconnaissait la véracité de faits que les partis staliniens avaient, pendant des décennies, présentés comme des calomnies anticommunistes. Il jeta le trouble chez nombre de militants, en particulier chez les intellectuels, et suscita aussi beaucoup d'illusions à gauche chez tous ceux qui voulurent y voir l'amorce d'une démocratisation profonde du régime.
En fait, le climat politique avait commencé à évoluer en URSS dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953.
Son pouvoir, Staline l'avait conquis, dans les années de reflux de la révolution, en s'appuyant sur la nouvelle couche de privilégiés qui s'était formée en URSS, administrateurs de l'État, de l'économie, du parti, cadres militaires, et avait usurpé le pouvoir de la classe ouvrière.
Mais la situation de cette couche dirigeante était fragile. Elle était menacée par un éventuel réveil politique de la classe ouvrière, perspective qu'incarnait les meilleurs éléments du parti bolchevique, défenseurs des idéaux communistes de la révolution d'Octobre. Mais aussi par un retour possible au pouvoir des anciennes classes possédantes, appuyées sur les armées des puissances impérialistes.
Dans cette situation difficile, où n'importe quel débat aurait pu permettre à la classe ouvrière de faire entendre sa voix, la bureaucratie avait besoin d'un arbitre suprême, tranchant tous les problèmes, et donc jouissant de tous les pouvoirs. La dictature personnelle de Staline fut le complément obligé de la dictature de la bureaucratie sur le pays. Et les purges qui frappèrent aussi la caste dominante, le prix que celle-ci dut payer au défenseur de ses privilèges.
Staline mort, aucun de ses lieutenants ne pouvait prétendre exercer d'emblée la totalité du pouvoir qui avait été le sien. Ils se mirent d'accord pour se débarrasser du prétendant au pouvoir suprême le plus dangereux, le chef de la police politique Béria, qui fut paraît-il exécuté en pleine réunion du Bureau politique, en juin 1953. Et ils se prononcèrent pour une «direction collégiale», ce qui était une condamnation implicite de la manière dont le défunt dictateur avait dirigé le pays.
Les membres de cette «direction collégiale» avaient été les plus infâmes agents de la dictature. Ils n'ignoraient bien sûr rien des crimes de Staline. Ils en avaient été les complices, et les bénéficiaires puisqu'ils lui devaient leur accession au faîte de la pyramide du pouvoir. Khrouchtchev avait ainsi intégré le Bureau politique en 1938, après deux ans de purges gigantesques, dont les procès de Moscou avaient été l'aspect le plus visible, qui avaient libéré d'innombrables places de cadres à tous les niveaux.
Mais comme tous les bureaucrates ils aspiraient sans doute à un régime où ils pourraient jouir tranquillement de leurs privilèges, sans avoir à craindre qu'on les leur enlève en même temps que la vie. Car Staline n'avait pas épargné ses plus proches collaborateurs. Dans les semaines qui suivirent sa disparition, on libéra les proches de membres du Bureau politique (la femme de Molotov, deux des cinq fils de Mikoyan) que Staline avait envoyés en camp, pour s'assurer leur fidélité.
Mais la «direction collégiale» tant vantée en 1953 n'était pas viable. La bureaucratie avait besoin d'un arbitre.
Khrouchtchev ne figurait qu'au huitième rang de la direction, en mars 1953. Mais ses nouvelles fonctions de secrétaire général lui permirent, comme à son prédécesseur, d'évincer ses concurrents. Et quand il prononça son fameux rapport en 1956, il était déjà le numéro un du régime. C'était au contraire une manière d'affirmer sa puissance, en même temps que l'assurance donnée à ses pairs de ne pas recourir aux méthodes de Staline.
De fait si Molotov, Malenkov, et d'autres furent évincés de la direction du parti sous l'accusation d'avoir formé un groupe «anti-parti», aucun ne joua sa tête à cette occasion. Molotov fut nommé ambassadeur en République Populaire de Mongolie. Malenkov fut envoyé diriger une centrale électrique dans le Kazakhstan.
Khrouchtchev allait bénéficier lui aussi de ce changement de méthode au sein de la couche dirigeante, quand, accusé des difficultés politiques et économiques que traversait l'URSS, il fut simplement mis à la retraite par l'équipe Brejnev-Kossyguine qui l'écarta du pouvoir.
Mais que le rapport Khrouchtchev n'ait aucunement signifié la fin de la dictature de la bureaucratie, les faits en assénèrent la démonstration sanglante, quelques mois après qu'il eut été prononcé, quand les tanks soviétiques écrasèrent en octobre-novembre 1956 la révolte du peuple hongrois, et mirent fin à l'existence des conseils ouvriers qui étaient nés de celle-ci.