Renault Flins (Yvelines) : La mort sur le parking de l'usine22/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1960.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Renault Flins (Yvelines) : La mort sur le parking de l'usine

Mercredi 15 février, un travailleur de 49 ans, salarié chez Renault depuis trente ans, a péri écrasé accidentellement par un autocar, au moment où il allait prendre son bus, vers 20h45, après son équipe d'après-midi à l'usine Renault de Flins.

Comme chaque jour, plusieurs dizaines d'autocars circulent à chaque changement d'équipe sur le parking de l'usine, déposant et reprenant environ 2000 ouvriers. Ces transports payants, organisés par le patron qui fait appel à cette fin à une dizaine d'entreprises différentes, permettent aux travailleurs de venir à l'usine depuis des points de départ distants parfois de plusieurs dizaines voire une centaine de kilomètres. Des cars viennent de Normandie, de Paris, de la banlieue nord, pour emmener les travailleurs faire leur paye... ainsi que des profits pour le patron.

En annonçant la mort de notre camarade de travail, la direction a commencé par tenter de diluer sa responsabilité en expliquant que l'accident s'était produit "en dehors de l'enceinte industrielle". Comme si le parking des cars et des voitures, les bâtiments qui s'y trouvent, la circulation des véhicules et des piétons à l'intérieur des grilles de l'usine n'étaient pas sous la responsabilité de la direction! Cette formulation et l'intention qu'elle recouvrait ont fortement choqué les travailleurs -en particulier dans l'atelier Tôlerie Clio, où le camarade accidenté était employé.

Tous étaient déjà fortement commotionnés par le drame. L'émotion était telle qu'il a été difficile de faire témoigner les personnes présentes sur les lieux de l'accident, traumatisées, et que les travailleurs de son équipe et de son secteur, bouleversés, n'avaient guère le coeur à reprendre la production, après les explications plus qu'expéditives des envoyés de la direction. Il a fallu qu'un délégué fournisse lui-même les renseignements sur les circonstances de la mort du camarade devant ceux qui attendaient, c'est bien le minimum, des explications sinon des remords.

Quelles que soient les conclusions de l'enquête, beaucoup d'entre nous se disaient amèrement: "Ça devait arriver". En effet, il y a de quoi s'inquiéter lorsqu'on prend son bus à la sortie des équipes. Les autocars doivent manoeuvrer pour se garer à leur emplacement, voire pour quitter celui-ci, au milieu des piétons qui cherchent à monter dans le bus de leur ligne; y compris les intérimaires ou temporaires qui ne savent pas forcément dans quel véhicule monter. En ajoutant l'absence de visibilité à cette heure-là, l'insuffisance de l'éclairage, déjà discret, mais semble-t-il défectueux dans la zone de l'accident, et la pluie qui rendait les choses encore plus nébuleuses, on comprend aisément que les conditions de sécurité n'étaient pas les meilleures.

Il n'est pas étonnant non plus que la vigilance des travailleurs soit moindre, dans ces circonstances, avec la fatigue d'une journée de travail en production. Tout devrait donc être prévu pour que nous ne risquions pas notre vie en arrivant ou en quittant l'usine à plusieurs milliers à la fois, en autocar ou dans des centaines de véhicules individuels. Car là aussi, la politique de la direction a été de limiter au maximum les dépenses de transport collectif, en diminuant le nombre de lignes de cars ou en supprimant des points de montée, des arrêts, des villages desservis. Nombreux sont ceux qui ont alors dû se replier sur un moyen de transport individuel, voiture ou vélo, ce qui relève parfois de la prise de risques.

Par ailleurs, les contrats passés avec les sociétés de transport sont tels que les chauffeurs de cars ont vu leurs conditions de travail se dégrader depuis des années, en augmentant l'amplitude de leur temps de travail et en cherchant à rentabiliser leurs allers-retours. De plus, le règlement récent qui ne les laisse entrer sur le parking qu'au dernier moment, quand la circulation de véhicules et de piétons est déjà importante, ne peut manquer d'aggraver les dangers. Un conducteur de transport en commun, par définition, doit être dans les meilleures conditions pour assurer la sécurité de ses passagers, et donc limiter la fatigue et le stress qui le menacent devrait être une évidence.

Depuis l'accident, l'inspection du travail a confirmé que Renault était responsable de la sécurité sur son parking. Organiser l'entrée et la sortie de milliers de salariés d'une usine construite il y a plus d'un demi-siècle en rase campagne demande de vraies compétences et un véritable souci de la sécurité de chacun, tout le contraire de la politique d'économies et d'attentisme qui semble considérer que toute dépense faite dans ce domaine serait de l'argent perdu. C'est particulièrement choquant quand on se rappelle que Renault vient d'annoncer 3,36 milliards d'euros de bénéfices, en hausse de 18% sur l'année précédente.

Evidemment, des solutions existent, par exemple dans d'autres usines, pour que la vie des travailleurs ne soit pas mise en danger au moment d'emprunter les transports collectifs: des couloirs de bus et des quais permettant de séparer strictement la circulation des piétons et celle des véhicules, etc. Il est inadmissible que les conditions de transport ne soient pas sécurisées car, comme c'était le cas du camarade de Tôlerie Clio, nous venons à l'usine pour gagner notre vie, pas pour la perdre.

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