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Pologne : Une mère de famille rendue aveugle par l'obscurantisme et la loi du fric
Une Varsovienne de 35 ans, mère de trois enfants, a porté plainte début février contre son pays, la Pologne, devant la Cour européenne des Droits de l'homme. Déjà mère de deux enfants, elle avait été avertie en 2000 par les médecins qu'une troisième grossesse constituait pour elle, étant donné la gravité de sa forte myopie, un sérieux danger: elle risquait tout simplement de perdre la vue.
Même munie, après bien des démarches aussi angoissantes qu'infructueuses, d'un certificat, de la plume d'un généraliste, justifiant une IVG, elle a vu rejeter son droit à l'avortement thérapeutique par le responsable habilité de l'hôpital public. La jeune femme a donc tenté d'avorter illégalement, ce qui est le lot de dizaines ou peut-être de centaines de milliers de femmes, chaque année, en Pologne. Mais ces IVG-là sont chères, la jeune femme aurait dû débourser 1500 zlotys (l'équivalent de 350 euros), les praticiens qui offrent ce "service" justifiant cette demande par le risque de deux ans de prison. Dans son cas, le tarif était triplé, en raison, lui dit-on, de la présence d'un anesthésiste rendue nécessaire par ses antécédents d'accouchements par césarienne. Et ces 5000 zlotys représentaient pour elle une somme inaccessible.
Elle dut donc accoucher -par césarienne- et fut victime comme prévu d'une hémorragie rétinienne qui l'a laissée quelques mois plus tard presque aveugle. Elle risque de le devenir complètement et tout effort physique lui est interdit. Invalide, elle est réduite à une pension de quelque 140euros par mois, avec laquelle elle est censée élever, seule, ses trois enfants. Mais elle a décidé de ne pas en rester là. Aidée et soutenue par le Planning familial de Pologne, fondé au début des années 1990, elle a porté plainte contre le médecin hospitalier qui avait refusé l'avortement, sans aucun résultat. C'est pourquoi elle s'adresse à présent aux instances européennes des Droits de l'homme. "Si la Pologne est condamnée, espère-t-elle, d'autres femmes suivront et des dizaines de plaintes seront déposées."
Si des dizaines de milliers de femmes sont forcées de recourir à l'avortement clandestin ou de se rendre à l'étranger, à condition que l'un ou l'autre soit financièrement possible, c'est parce que depuis 1993, sous l'influence de l'Église catholique, une loi très restrictive sur l'avortement est en vigueur en Pologne: l'IVG n'est admise que pour des raisons médicales strictes, de viol ou d'anomalies du foetus. En conséquence, le nombre d'interruptions de grossesse a chuté à 151 en 1999, alors qu'il était de 100000 chaque année jusqu'en 1990. Beaucoup d'hôpitaux publics, comme ce fut le cas pour cette jeune femme, refusent toute interruption, même légale, même en cas de problèmes médicaux graves, ce qui explique le développement d'un "marché noir" aux tarifs souvent usuriers et le recours à des manipulations non professionnelles dangereuses. Et, corollaire tragique, le nombre d'enfants abandonnés à l'hôpital après l'accouchement a triplé entre 1993 et 1999, année où il atteint 737. Le Planning familial signale que seules 8% des femmes prennent la pilule, trop chère, et que l'éducation sexuelle n'est plus obligatoire dans les écoles depuis 1999.
C'est une régression catastrophique pour les droits des femmes, dans un pays où l'avortement avait été légalisé en 1956, bien avant la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, où la loi Veil ne date que de 1975!
À présent, la droite conservatrice est au pouvoir en Pologne depuis quatre mois, sous la férule des frères Kaczynski, à la tête du parti PiS (Droit et Justice). Depuis le 2 février, le PiS a conclu pour un an un "pacte de stabilité" avec le populiste Lepper et son syndicat de petits paysans Samoobrona (Autodéfense), ainsi qu'avec la LPR (Ligue des familles polonaises) dont le programme tient en trois mots, religion, famille, patrie, où se rassemblent les intégristes catholiques, et qui a organisé une campagne comparant l'avortement à l'Holocauste. Ce parti est soutenu ouvertement par la radio Maryja (Marie), la télévision Trwam (Je perdure) et le journal Nasz Dziennik (Notre quotidien), les trois médias lancés par le prêtre ultra-conservateur Rydzyk. Celui-ci a été accusé il y a quelque temps par le réactionnaire cardinal polonais Glemp de vouloir "démolir l'Église", lui-même ayant été rappelé à l'ordre par le Vatican, pourtant peu suspect de gauchisme. L'église polonaise, elle-même guère moins réactionnaire, considère sans doute les campagnes de ces intégristes comme de la concurrence déloyale.
Les conséquences de l'arrivée au pouvoir de la droite la plus réactionnaire pèsent sur toute la population, mais aussi particulièrement sur les femmes, à qui il reste malheureusement, en Pologne notamment, bien des combats à mener pour défendre leurs droits minimum, dont celui de disposer de leur corps.