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Leur société
L'épidémie de Chikungunya : Virus et fric, deux maux complémentaires
À la Réunion, l'épidémie de chikungunya continue de s'étendre. Il y aurait près de 22000 nouveaux cas par semaine, au moins 120000 personnes auraient été atteintes par la maladie et plus de cinquante décès seraient directement ou indirectement dus au chikungunya.
Certaines associations estiment que ces chiffres sont en-deçà de la réalité puisque des malades ne se rendent pas chez le médecin et que d'autres ne sont pas répertoriés par les services sanitaires. En tout cas, il y a un chiffre sur lequel tout le monde semble s'accorder: au minimum 15% de la population réunionnaise sont ou ont été frappés par la maladie.
Après des mois d'une attitude on ne peut plus laxiste, durant lesquels les autorités sanitaires n'ont pas su ou pas voulu faire face au risque évident, prévu et même annoncé par certains, de l'extension de la maladie, l'État a finalement dégagé plus de moyens en matériel et en hommes dans la lutte contre le vecteur du chikungunya: un moustique qu'il faut éliminer, lui et ses larves. Des centaines de militaires sont venus de métropole. Du matériel nécessaire à la démoustication a été acheminé. Plusieurs centaines de travailleurs réunionnais ayant le statut "emploi vert" ont été aussi mis à disposition.
La population n'est pas pour autant rassurée et beaucoup craignent que les tonnes de produits déversés sur l'île aient des effets néfastes, non seulement sur l'environnement mais aussi sur la santé de la population. D'ailleurs, une note préfectorale qui informait des recommandations à prendre lors de l'épandage des insecticides, n'était pas faite pour mettre en confiance. Elle conseillait instamment par exemple, de ne surtout pas "manger les fruits et légumes du jardin avant quinze jours; passé ce délai, les laver et les peler avant consommation". Rien d'étonnant alors qu'une polémique se soit développée sur la nocivité des insecticides utilisés. Plusieurs communes ont demandé le droit de pouvoir choisir elles-mêmes les produits devant servir à éradiquer les moustiques, leur préférence allant au BTI, un produit utilisé depuis 1984 aux États-Unis et au Canada, et dont l'efficacité, alliée à une absence de nuisance, a été maintes fois reconnue.
Se prémunir contre les moustiques doit aussi pouvoir se faire à une échelle personnelle par l'utilisation de produits répulsifs (serpentins, spray...). Seulement, ces produits deviennent difficiles à trouver et parfois très chers, vendus au double de leur prix, et de ce fait inaccessibles aux plus pauvres. Certains accusent des pharmaciens de spéculer sur le besoin de santé; les pharmaciens se défendent en s'en prenant aux laboratoires ou aux sociétés de grossistes qui ne fournissent pas suffisamment. Quoi qu'il en soit, et même si les responsabilités sont partagées, tout cela se fait au détriment des plus démunis, des 75000 foyers érémistes, des 33000 personnes au minimum vieillesse et des 31% de la population au chômage. Devant l'ampleur de l'épidémie, il serait pourtant normal que les produits répulsifs soient distribués gratuitement à la population, comme le réclame le syndicat des médecins généralistes de la Réunion.
"Difficultés économiques", "baisse du chiffre d'affaires", "entreprises en perdition", tout le monde se penche sur les problèmes des patrons, oubliant que dans les entreprises existent aussi des travailleurs dont les pertes financières sont très importantes et toujours difficiles à supporter. Le syndicat CGTR de l'Est a ainsi calculé qu'un travailleur gagnant 1000 euros par mois et qui s'est arrêté une semaine pour cause de maladie, perd 187 euros (les trois jours de carence auxquels s'ajoute une prise en charge de 65% seulement sur les deux jours restants).
Autre situation tout à fait anormale, celle qui concerne le chômage partiel. "Ce qui est appliqué ici, a expliqué le secrétaire de la CGTR, c'est une rémunération mensuelle minimale, au smic, même pour ceux dont le salaire égale 1,3 ou 1,5 ou deux fois le smic". La CGTR réclame donc une compensation pour que les travailleurs n'aient pas de perte de salaire. L'État, maintes fois sollicité, devrait finalement prendre en charge la totalité de l'indemnité du chômage partiel, mais tout est encore formulé au conditionnel.
Ce qui choque aussi, c'est que jusqu'à présent rien n'a été fait pour étudier le virus. Il a pourtant été répertorié pour la première fois il y a plus d'un demi-siècle, en 1952-1953, dans des zones de l'Afrique de l'Est et aux Comores, où il ne touchait que des populations non solvables. Quels intérêts pouvaient alors avoir les instituts et surtout les laboratoires à se lancer dans des recherches onéreuses pour lesquelles aucun retour sur investissement ne pouvait être attendu?
Aujourd'hui, à la Réunion, c'est aussi de ce laisser-aller et de cette âpreté au gain que la population souffre.