Parti d'Asie, le virus de la grippe aviaire est parvenu au Proche-Orient, puis en Europe. Il est maintenant en Afrique, au Nigeria. Là, le dénuement, le manque total de moyens pour enrayer sa transmission ne pourront que renforcer ses ravages et risquent d'entraîner une véritable catastrophe.

Le virus aviaire infecte surtout les oiseaux qui développent alors une grippe souvent mortelle. Il ne contamine que très exceptionnellement les humains. Mais quand cela arrive, la forme de grippe qu'il engendre est très grave. À ce jour, depuis le premier cas mortel, à Hong-Kong, en 1997, la grippe aviaire a tué 92 personnes dans sept pays différents.

Comme tous les virus de la grippe, ce virus aviaire n'est pas très stable. Il peut se transformer par mutations génétiques. Les spécialistes redoutent que, lors d'une de ces transformations, il devienne tel qu'il acquiert une grande affinité pour l'appareil respiratoire humain et déclenche alors une épidémie de grippe contagieuse cette fois d'homme à homme, par les postillons, les éternuements... Ce pourrait être une véritable catastrophe car, par définition, ce virus serait totalement nouveau et donc aucun vaccin efficace ne serait disponible avant de longs mois pour prévenir l'infection. C'est un tel virus totalement nouveau qui, à la fin de la Première guerre mondiale entraîna une véritable catastrophe sanitaire -la grippe dite espagnole- qui, à l'échelle mondiale, fit plus de morts que la guerre elle-même.

On n'en est pas là et rien ne permet d'affirmer que cela arrivera un jour, c'est-à-dire que la mutation du virus ira dans ce sens. De plus, si elle se produit, on ne peut pas prévoir à quel moment elle surviendra. Cependant c'est contre cette éventualité que les autorités sanitaires se préparent. Mais alors, la virulence de l'agent de la grippe est renforcée par celle de la misère.

Une mesure préventive consiste à juguler la maladie chez les oiseaux. Il faut tuer les volailles dans les élevages contaminés et, ailleurs, rentrer celles qui sont élevées en plein air, les mettre à l'abri de la contagion par les oiseaux sauvages. Il faudrait aussi les vacciner. Mais, sans même parler de cette vaccination, plus le pays est pauvre et plus l'application de telles mesures est difficile. On l'a vu en Turquie où deux fillettes sont mortes pour avoir été en contact proche avec des volailles infectées: les informations sanitaires sur la maladie n'étaient pas parvenues jusqu'à leur village et, si elles y étaient arrivées, l'application des précautions élémentaires aurait soulevé d'énormes problèmes dans une population démunie. Aujourd'hui, alors que l'épidémie animale, l'épizootie, se développe au Nigeria, un des pays les plus pauvres au monde, les vétérinaires des Nations Unies ont demandé au gouvernement de fermer les marchés de volaille pour arrêter la propagation du virus. On a aussi demandé aux villageois de se séparer de leurs poules. Sauf que les marchands et la population n'ont pas d'autres ressources pour se nourrir. Alors, les «cellules de crise» ou autres «comités locaux de vigilance» risquent de n'avoir d'efficacité que sur le papier.

Et puis comment diagnostiquer les cas humains de la maladie? Comment les différencier des autres maladies avec fièvre et toux dans des pays où le sida, la tuberculose, le paludisme, les infections respiratoires et autres maladies infectieuses font des ravages?

Enfin, les mesures efficaces contre la maladie si, demain, la contagion devient interhumaine, seront encore plus scandaleusement inégales. Dans tous les pays riches, on stocke des masques pour limiter cette transmission. Il n'y en aura pas pour tout le monde, surtout pas pour les pays non solvables. On a beaucoup parlé du Tamiflu, ce médicament antiviral qui pourrait avoir une petite efficacité à condition d'être pris dans les 48heures après l'apparition des premiers signes de la maladie. Les États-Unis, la France et tous les grands États occidentaux s'activent à l'engranger par tonnes en lieux sûrs, pour le plus grand bonheur des laboratoires Roche dont la courbe des profits grimpe en flèche au fur et à mesure des commandes. Mais, en Afrique et dans tous les pays pauvres, les populations risquent de mourir à quelques heures de vol de tonnes de médicaments stockés dans des bunkers.