La commémoration de l'abolition de l'esclavage : 158 ans après, toujours des mensonges01/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1957.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La commémoration de l'abolition de l'esclavage : 158 ans après, toujours des mensonges

Lundi 30 janvier, Chirac a annoncé que la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage serait fixée au 10 mai, jour de l'adoption définitive par le Parlement, en 2001, de la loi Taubira reconnaissant la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité. "Dans la République, nous pouvons tout nous dire sur notre histoire", a-t-il déclaré, affirmation bien peu convaincante pour une décision qui survient plus de 150 ans après l'abolition de l'esclavage en France.

Il est peu probable que, de la bouche de tenants du capitalisme tels que Chirac, Villepin et bien d'autres, sorte la vérité sur ce trafic d'esclaves africains engagé de façon encore sporadique au début du XVIe siècle et qui se poursuivit jusqu'au milieu du XIXe siècle, en enrichissant la bourgeoisie moderne. Car l'esclavage et l'essor du capitalisme ont bel et bien marché de pair.

"Depuis l'origine, nous dit Chirac, la République est incompatible avec l'esclavage." La vérité est à l'exact opposé: la république s'en accommoda au contraire fort bien.

Lorsqu'éclata la révolution en 1789, en France, la liberté que les bourgeois appelaient de leurs voeux signifiait bien sûr l'abolition des privilèges de la noblesse, mais aussi la liberté du commerce, et celle-ci était à leurs yeux, et dans les conditions de l'époque, indissociable de la liberté de perpétuer l'esclavage. Ces bourgeois révolutionnaires ne voyaient pas d'"incompatibilité" entre la "déclaration des droits de l'homme", le fait de brandir le drapeau de la liberté et maintenir l'esclavage: les bateaux de négriers qui partaient de Nantes dans ces années de révolution, en 1790,1791,1792, s'appelaient La Fraternité, ou L'Egalité.

En juin 1793, la Convention refusa encore d'abolir l'esclavage. Si elle fit volte-face quelque temps plus tard, en février 1794, ce ne fut que sous la contrainte de faire face à la Grande-Bretagne dans les colonies antillaises, et des soulèvements d'esclaves qui ébranlaient les possessions françaises des Caraïbes, et en particulier la révolution qui, en 1791, secoua la Saint-Domingue française (l'actuelle Haïti), la plus riche colonie française puisqu'elle fournissait alors les trois quarts de la production mondiale de sucre brut. Le 20 mai 1802, c'est toujours sous la république, durant la période du consulat, que Bonaparte rétablit cependant l'esclavage dans toutes les colonies françaises, excepté à Haïti, secouée par une seconde révolte d'esclaves victorieuse.

La traite négrière fut interdite à partir de 1815, mais peu de choses changèrent. Les vaisseaux négriers devaient certes prendre garde à ne pas être arraisonnés, mais la traite restait une affaire prospère. Des prémices de changement apparurent après la révolution de Juillet 1830. Mais il fallut attendre 1848 pour que soit prise la décision d'abolir définitivement l'esclavage dans les colonies françaises. Et elle ne fut pas prise sous la pression de considérations humanitaires ou parce qu'il aurait existé une quelconque incompatibilité avec les "idéaux républicains". Tout simplement, l'esclavage était devenu économiquement dépassé. Victor Schoelcher, partisan de l'abolition de l'esclavage, expliquait: "Les planteurs ne connaissent qu'un instrument de travail: l'esclave. Les machines? Ils n'en veulent pas, ils n'en ont pas besoin. Le progrès? Ils le refusent. Les plus vieilles routines leur suffisent Résultats: la canne qui peut donner, expérience faite, 17% de sucre, n'en donne dans les colonies françaises que 5 ou 6%, tout au plus." Mais cette considération n'aurait malgré tout pas suffi, il fallut encore le contexte de la révolution qui éclata en France le 24 février 1848. De leur côté, les esclaves n'attendirent pas pour se soulever. Sur proposition de Schoelcher, alors sous-secrétaire d'État aux Colonies, l'abolition effective de l'esclavage fut décrétée le 27 avril 1848 dans toutes les colonies françaises. Mais les plus gros propriétaires furent indemnisés.

Durant bien longtemps, cette période fut passée sous silence. Plus de 150 ans après l'abolition de l'esclavage, on en reparle et une condamnation officielle est faite, toutes ces initiatives étant quelque peu hâtées par la mobilisation d'un certain nombre d'associations. Mais toute la vérité n'est pas dite. Si des historiens écrivent aujourd'hui des ouvrages montrant le sort cruel fait aux esclaves, peu dénoncent les profits immenses amoncelés grâce à ce trafic humain. Et encore moins expliquent, comme Marx et Engels l'avaient écrit, que l'esclavage permit une accumulation énorme de capitaux en Europe et aux États-Unis qui donna une base de départ à l'économie capitaliste et à son essor à l'échelle mondiale.

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