Galileo : L'orbite des fonds publics et des profits privés29/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1952.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Galileo : L'orbite des fonds publics et des profits privés

Le lancement du premier élément de Galileo, ce programme européen de navigation par satellite, a été annoncé triomphalement. Les médias ont largement vanté les applications prometteuses de ce programme: agriculture, prévention de cataclysmes naturels, gestion des transports, sauvetages en mer, géographie, recherche géologique, etc. Des comparaisons flatteuses ont été faites avec le système américain GPS, désormais bien connu, notamment des automobilistes, que l'européen Galileo concurrencerait... bientôt.

"Guerre froide" et guerre commerciale

En fait, il n'y a jamais qu'une trentaine d'années qu'existe le GPS. Ce "Système de positionnement mondial" (en anglais) fut créé aux Etats-Unis à des fins militaires, pour suivre le déplacement des troupes, guider l'artillerie, les bombardements aériens. Dans le cadre de la "guerre froide", cela renforçait la disproportion des forces en faveur de l'Occident, même si l'URSS finit par se doter d'un programme analogue.

Dès l'origine, le GPS fut tenu à bout de bras par le budget militaire et spatial américain, et cela n'allait pas faiblir par la suite: ainsi, le GPS équipait 20% des bombes et missiles déversés sur l'Irak en 1991, lors de la première guerre du Golfe, et 80% lors de celle de 2003. Le système se développant, en continuant à être subventionné par le Pentagone et la Nasa, les Etats-Unis l'ouvrirent à des applications civiles commerciales pour la cartographie, les télécommunications, les transports (suivi des navires et des avions, guidage des taxis, autobus et voitures), la recherche pétrolière, etc.

Tout en restant aux mains de l'US Air Force, qui contrôle les 24 satellites permettant au GPS de mailler le globe terrestre depuis l'espace, celui-ci s'est imposé à l'échelle mondiale, dans ses applications tant militaires que civiles.

Galileo est une tentative de l'Union européenne de contrer ce monopole américain et de prendre sa part du gâteau. Celui-ci serait des plus alléchants, si l'on en croit les prévisionnistes qui estiment à 250 milliards d'euros, en 2020, le marché des services liés à la navigation satellitaire! Et si, ces jours-ci, il a beaucoup été question du caractère "civil", pour ne pas dire commercial, de Galileo, décrit comme non militaire, à la différence du GPS, ce n'est que pure hypocrisie.

En juin, la Commission européenne l'a reconnu en confiant la concession de Galileo au consortium formé par EADS-Thalès et Alcatel-Finmeccanica, des géants européens de l'espace et de l'armement, même si elle entretient la fiction d'une gestion civile du système. Il s'agit simplement, depuis l'origine du projet, de permettre à certains membres de l'Union européenne qui se disent neutres, tel le Danemark, de soutenir financièrement et industriellement ce projet, tout en essayant de ne pas trop donner prétexte à "l'allié" américain pour s'indigner de la chose.

Subventions publiques, profits privés

S'il a fallu plus d'une dizaine d'années à Galileo, entre la mise sur pied du projet et le lancement du premier des trente satellites nécessaires à son fonctionnement, c'est que les Etats de l'Union européenne, et surtout les principales puissances impérialistes du continent - l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne - sont, dans ce domaine comme dans bien d'autres, autant rivaux qu'associés.

Et puis, il y a une autre raison, non moins importante. Alors que le GPS américain domine le marché mondial, les firmes européennes qui pouvaient être concernées ne voulaient pas s'aventurer sur ce terrain faute d'avoir la garantie qu'il y aurait place pour Galileo à côté du GPS ou, ce qui revient au même, la garantie qu'elles n'auraient rien à perdre mais tout à gagner à tenter l'aventure.

Ainsi, en octobre 2001, présentant un état de l'avancement du projet, le rapporteur du Parlement européen écrivait que, malgré "les flux de revenus pouvant être tirés de tous les services fournis par Galileo", les investisseurs privés auxquels on avait promis la gestion du système ne voulaient prendre aucun "risque commercial". Ils attendaient, disait-il, "un signal positif des autorités politiques" européennes, autrement dit qu'elles prennent à leur charge toutes les dépenses en leur laissant pour seul souci d'en récolter les fruits.

L'Union européenne avait alors budgétisé deux milliards d'euros pour ce projet. Aujourd'hui, on en est à près du double. D'ici à ce que les trente satellites de Galileo soient lancés (le second n'est prévu que pour juin 2006), bien des milliards de fonds publics auront eu le temps d'être déversés dans les coffres des "investisseurs". Quant à verser leur part, bien faible, du financement global de l'affaire, ceux-ci se réservent toujours de le faire dans la phase finale de l'opération, quand elle aura déjà été largement amortie sur des fonds publics et que les profits privés pourront alors couler à flots.

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