Désamiantage du Clemenceau : Des conditions scandaleuses29/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1952.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Désamiantage du Clemenceau : Des conditions scandaleuses

L'organisation écologiste Greenpeace et des associations de victimes de l'amiante tentent, par le moyen d'un recours judiciaire, de s'opposer au départ de l'ex-porte-avions Clemenceau vers un chantier de démolition en Inde. L'argument invoqué est le respect de la Convention de Bâle qui interdit l'exportation de déchets dangereux, en l'occurrence l'amiante, que contient le navire.

Il est peu probable que cette démarche réussisse. Un précédent tribunal s'est déjà déclaré incompétent et, selon le ministère de la Défense, le Clemenceau devrait être remorqué, dans les jours qui viennent, vers le site de démolition d'Alang, en Inde. Remorqué, car il n'est plus en état de naviguer par ses propres moyens.

Ce n'est pas la première fois que ce navire, désarmé depuis 1997, défraye la chronique en partant à la casse. En 2003, la coque du porte-avions avait été vendue pour être démolie, après désamiantage, en Espagne. Mais l'acheteur tenta de l'expédier en Turquie. Cela faisait mauvais effet. La France résilia le contrat et demanda alors que le travail soit effectué en Grèce. Comme la Grèce refusa, force fut de revenir à la case départ, c'est-à-dire à Toulon. Les ministères de la Défense et des Finances (propriétaires de la coque) ne sachant comment s'en débarrasser, c'est en fin de compte à Toulon qu'une société privée a retiré l'amiante. Toute l'amiante? Non, seulement le tiers ou la moitié (Greenpeace et le gouvernement sont en désaccord sur les chiffres). Pourquoi ne pas tout enlever? Les autorités maritimes prétendent que si on allait au-delà de ce qui a été récupéré, on porterait atteinte aux structures du navire, ce qui compromettrait son dernier voyage.

C'est donc très vraisemblablement à Alang, en Inde, à 300 kilomètres au nord de Bombay que le Clemenceau finira d'être désamianté et sera démoli.

Alang est le plus important chantier de démolition de navires du monde. En fait, c'est une plage où, profitant de la marée haute, on fait échouer les navires. Pas de quai, pas de grues, pas d'installations lourdes, seulement une nuée d'ouvriers venant des campagnes misérables voisines et qui n'ont généralement aucune formation et aucun équipement. L'amiante s'enlève à main nue et est jeté à la mer ou enfoui n'importe où. De plus, les vieux navires regorgent de déchets toxiques: métaux lourds, peintures pourries, dioxine des installations électriques, etc. Tout cela est retiré n'importe comment, sans protection, par des ouvriers laissés dans l'ignorance des dangers. Enfin l'acier est découpé au chalumeau et c'est avec la revente de l'acier aux sidérurgistes que les exploiteurs font leurs profits.

Les blessés et les morts sont innombrables. Et en plus des victimes de chutes et autres accidents visibles beaucoup plus sans doute meurent intoxiquées quelques mois ou quelques années plus tard. Combien? Nul ne le sait car les registres ne sont pas vraiment tenus.

Pourtant la main-d'oeuvre afflue en masse à Alang. À un enquêteur qui lui demandait pourquoi, un villageois, devenu ouvrier, répondait: "Si je vais à Alang une personne mourra peut-être, si je reste cinq mourront."

C'est donc dans ce mouroir de bateaux et d'hommes que le gouvernement français a choisi d'envoyer le Clemenceau. Bien sûr, l'entreprise chargée du chantier serait l'une des plus sérieuses, munie de certifications internationales sur le respect de l'environnement ainsi que sur les conditions de santé et la sécurité des ouvriers. Paris aurait exigé que le désamiantage s'effectue "selon les normes européennes".

On verra ce que cela signifie. En attendant, c'est bien dans un des pays les plus pauvres du monde que le gouvernement français va faire effectuer un travail extrêmement dangereux, par une main-d'oeuvre sous-payée, exactement comme le font l'immense majorité des armateurs du monde entier.

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