Bolivie : La victoire électorale d'Evo Morales signe la faillite des partis traditionnels29/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1952.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Bolivie : La victoire électorale d'Evo Morales signe la faillite des partis traditionnels

Evo Morales, candidat du MAS (Mouvement vers le Socialisme) a remporté l'élection présidentielle de Bolivie avec près de 54% des voix. Son principal adversaire, le candidat de la droite, n'a remporté que 28,5% des suffrages.

Evo Morales prendra ses fonctions le 22 janvier prochain. Mais même si cette victoire électorale de Morales, portée par une vague de contestation venue du fond des classes populaires, est le signe du discrédit profond de la classe politique traditionnelle de Bolivie, elle n'est pas ressentie par les classes possédantes comme la menace d'une révolution sociale mettant en jeu la survie de leur pouvoir économique.

Une population mobilisée face au pouvoir

Depuis 2000, la Bolivie est marquée par l'irruption des classes pauvres sur le devant de la scène. Cela a commencé à Cochabamba la deuxième ville du pays, au travers des mobilisations des quartiers populaires contre le racket de la compagnie privée américaine Bechtel sur la distribution de l'eau. En 2004, cette "guerre de l'eau" a rebondi dans une banlieue populaire de la capitale La Paz, El Alto, cette fois contre le racket de la filiale du trust français Suez-Lyonnaise des Eaux qui, en plus, privait d'eau 200000 personnes. À chaque fois, la mobilisation, massive, a obligé les trusts de l'eau à se retirer.

Parallèlement, la revendication centrale de l'utilisation de la principale ressource du pays, le gaz, pour satisfaire les besoins de la population plutôt que le brader aux grandes compagnies pétrolières internationales, parmi lesquelles le français Total, a été le principal moteur de la mobilisation populaire. Elle a débouché sur l'insurrection d'octobre 2003 du quartier d'El Alto, point fort d'une lutte relayée dans tout le pays. La répression, qui fit des dizaines de victimes, fut impuissante à briser l'élan populaire, ce qui contraignit le président Sanchez de Losada à la démission et à l'exil.

En juin 2005, ce fut au tour du président Carlos Mesa, successeur de Sanchez de Losada, de démissionner devant la contestation populaire. La classe politique désigna alors un homme réputé "indépendant" des partis traditionnels, le président de la Cour suprême Eduardo Rodriguez, qui entendait "convoquer un processus électoral pour rénover la représentation citoyenne". Mais les manoeuvres des partis traditionnels pour tenter d'empêcher les élections, dans un contexte du maintien de la mobilisation des quartiers populaires, le conduisirent aussi à la démission, et à la tenue des élections qui viennent d'avoir lieu.

Les déclarations ambiguës d'Evo Morales

Les classes dirigeantes boliviennes et, derrière elles, les grands trusts internationaux attendent du nouveau gouvernement une pacification sociale du pays, c'est-à-dire la démobilisation populaire, afin de reprendre leurs affaires. Mais les classes pauvres qui ont voté pour Morales espèrent qu'il satisfera les revendications qu'elles mettent en avant depuis des années.

Or, Morales n'est pas un nouveau venu. Depuis 1997, cet ancien leader paysan des cultivateurs de coca est entré en politique. Il a créé le MAS, un regroupement hétéroclite sans idéologie précise, qui apparaît comme le porte-parole politique des révoltes populaires, du fait qu'il est en rupture avec la classe politique traditionnelle corrompue et inféodée aux grandes compagnies étrangères, auxquelles elle a livré, en échange de quelques prébendes, l'intégralité des richesses du pays. Depuis 1985, presque tout ce qui pouvait être privatisé l'a été. Et ce pays, malgré ses immenses richesses pétrolières et surtout gazières, reste le deuxième pays le plus pauvre d'Amérique, juste après Haïti.

En 2002, Morales, déjà candidat aux présidentielles, recueillait un peu plus de 20% des voix. En 2003, face au soulèvement populaire qui était pratiquement maître du pays, Morales défendit une "transition institutionnelle" en refusant de postuler à la direction du pays à la tête d'un soulèvement populaire. Et il a collaboré avec la classe politique en place pour assurer cette transition, ce qui a abouti à un accord du MAS de Morales, le 17 mai dernier, avec l'ensemble des partis pour porter de 20 à 50% la taxe sur les compagnies exploitant le gaz bolivien.

La revendication des quartiers pauvres est de permettre à tous d'avoir un travail permettant de vivre dignement, les paysans eux veulent la terre. Pour tous, l'expropriation des grandes compagnies exploitant le pays permettrait d'aller dans cette voie. Mais satisfaire ces attentes voudrait dire remettre en cause le pouvoir économique de l'oligarchie locale, s'attaquer à la propriété privée industrielle, commerciale et terrienne, ce qui n'est pas le programme de Morales et du MAS.

Tout dépendra de la mobilisation des masses

La porte-parole du gouvernement américain, Condoleezza Rice, a exprimé ses réserves et ses inquiétudes à propos de l'arrivée de Morales à la tête du pays: "La question pour nous est la suivante: le gouvernement bolivien gouvernera-t-il démocratiquement?" En fait de "démocratie", c'est surtout le sort réservé à ces grandes compagnies qui préoccupe le gouvernement des Etats-Unis. Comme le prouve la suite de la déclaration de Condoleezza Rice se demandant hypocritement si le nouveau gouvernement sera "ouvert à une coopération qui, en termes économiques, aidera incontestablement le peuple bolivien, parce que la Bolivie ne peut-être isolée de l'économie internationale".

Morales a signifié qu'il n'avait pas de leçon de démocratie à recevoir de Bush, en rappelant ce qu'il faisait en Irak. Mais il a aussi tenu à rassurer les grandes compagnies pétrolières étrangères, en déclarant que son gouvernement "n'exproprierait ni ne confisquerait les biens" des sociétés pétrolières étrangères.

D'un côté, Morales parle dans ses discours à la population de "nationalisation" des richesses du pays, de l'autre il s'affirme rassurant vis-à-vis des diplomates étrangers et demande seulement de négocier une nouvelle répartition.

Certes, échapper à la dictature des vingt-six compagnies pétrolières étrangères qui s'approprient les richesses du pays n'est pas facile. Cependant Morales pourrait s'appuyer sur une population qui a montré ses immenses capacités de mobilisation. Mais rien n'indique dans son comportement et dans son attitude passée que Morales a choisi d'être le défenseur des intérêts des classes pauvres face à tous leurs exploiteurs locaux ou étrangers, bien au contraire.

Mais les travailleurs boliviens ont une longue tradition de lutte qui ne s'est jamais éteinte sous les dictatures et la répression. En 1952, le pouvoir bourgeois a vacillé devant une classe ouvrière dont l'élan n'a pu être brisé que par ses chefs réformistes. C'est pourquoi rien n'est aujourd'hui fermé, si les prolétaires boliviens des villes alliés à ceux des campagnes parviennent à déjouer les pièges non seulement de leurs ennemis, mais aussi de tous leurs faux amis.

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