OMC : «Libre concurrence», au profit du plus fort15/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1950.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

OMC : «Libre concurrence», au profit du plus fort

Après l'échec des réunions de Seattle (1999) et de Cancun (2003), les 148 pays de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se sont retrouvés à Hong Kong, du 13 au 18 décembre, pour tenter de boucler ce qu'ils appellent dans leur jargon le «cycle de Doha», c'est-à-dire imposer une libéralisation plus poussée des échanges économiques.

L'OMC, qui a pris la relève du GATT, prétend en paroles harmoniser, voire moraliser les échanges commerciaux entre États-Unis, Europe et Tiers Monde, le tout au nom de la «libre concurrence». Celle-ci a toujours servi aux États qui la revendiquaient pour s'ouvrir de nouveaux marchés. C'est même de cette façon que les États-Unis, par exemple, ont bâti leur empire économique. Il n'est donc pas étonnant que Bush ait dit, à l'approche de cette nouvelle réunion de l'OMC, qu'il faut «éliminer toutes les barrières douanières, les subventions et autres obstacles, pour libérer les flux des biens et services», tout en précisant «au fur et à mesure que d'autres pays en font de même».

Mais, derrière ce donnant-donnant apparent, c'est en fait la loi du plus fort qui s'applique. Et l'OMC, comme d'autres organismes internationaux du même genre, reste un outil entre les mains des États et des trusts les plus puissants.

Les grandes puissances d'Europe et d'Amérique dissimulent la rapacité des groupes qu'ils défendent, en se présentant sous un angle avantageux. Les États-Unis se disent prêts à baisser de 60% leurs droits de douane d'ici 2010. Les États européens prétendent vouloir ménager les intérêts des pays du Tiers Monde. Mais les uns et les autres défendent d'abord les intérêts de leurs trusts. Les prises de bec engendrées par la moindre remise en cause des subventions agricoles au sein de l'Union européenne sont connues. De même, au moment où les États-Unis parlaient de diminuer leurs subventions agricoles, la commission agricole du Sénat américain votait leur prolongation pour les producteurs de coton jusqu'en 2011.

Le protectionnisme prend des formes variées: subventions (celles que reçoit par exemple la viande bovine dans le cadre de l'Union européenne), taxes et surtaxes (le tabac entrant sur le marché nord-américain est taxé à 350%), quotas, voire contrôles sanitaires (les fruits pénètrent difficilement sur le marché japonais pour ces raisons). L'enjeu affiché à Hong Kong est d'abord de faire tomber ce qui protège les produits agricoles, avant d'en venir aux produits industriels et aux services. Mais on n'en est pas là: plusieurs réunions préparatoires, ces dernières semaines, ont déjà montré que les chances d'aboutir à un compromis sur les produits agricoles sont faibles.

Des États comme le Brésil ou l'Inde, grands producteurs agricoles, ou certains États africains producteurs de coton, souhaitent que leurs produits puissent pénétrer sur les marchés protégés des États-Unis et de l'Europe. Mais derrière cette opposition présentée comme l'opposition entre «pays riches» et «pays pauvres», voire entre multinationales et petits producteurs, se dissimulent bien souvent d'autres intérêts. Il y a, par exemple, ceux des grands propriétaires terriens argentins, éleveurs hier, devenus aujourd'hui grands exportateurs de soja, et qui ne sont pas des «pauvres»... même si leur pays l'est! Il y aussi parfois directement les intérêts de trusts impérialistes comme le groupe français de Vincent Bolloré, qui s'est taillé un empire en Afrique.

Ainsi, même si les intérêts de certains pays du Tiers Monde étaient un peu plus ménagés, cela profiterait moins aux petits producteurs locaux qu'à une poignée de trusts et d'actionnaires aux préoccupations et aux intérêts similaires à ceux qui fréquentent Wall Street, la City de Londres ou la Bourse de Paris.

La Banque Mondiale a déjà calculé ce qui se passerait si l'OMC parvenait à ses fins actuelles: 154 milliards d'euros pourraient changer de mains, ce dont bénéficieraient d'abord les pays dits «exportateurs compétitifs», notamment l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, le Brésil et l'Argentine, puis les autres pays riches. En revanche, les pays les plus pauvres dont la population vit, si on peut dire, de la production agricole, n'y trouveraient aucun avantage.

En cas d'échec à Hong Kong, l'OMC poursuivra le donnant-donnant existant actuellement, qui laisse aux pays pauvres la possibilité, au mieux, d'obtenir réparation de certains préjudices par des recours légaux. Le Brésil a ainsi obtenu trois milliards d'euros des États-Unis, qui avaient violé à son égard les règles du libre-échange vantées par ailleurs. Mais les États africains producteurs de coton, qui réclamaient un milliard de dollars pour des raisons identiques, n'ont obtenu qu'une vague promesse de 7 millions.

La «liberté du commerce», vantée par ses défenseurs comme une promesse d'enrichissement pour tous, est surtout une promesse d'enrichissement pour les trusts qui sont déjà les plus riches. Ce n'est pas l'OMC qui a créé cette situation, qui est la loi même du capitalisme. Mais ce n'est pas elle non plus qui va, si peu que ce soit, la remettre en cause.

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