D'après la dernière étude de l'Insee, le pouvoir d'achat des ménages aurait progressé de 1,4% en 2004. Cette annonce ne convaincra pas les millions de travailleurs qui ont eu -à juste titre- le sentiment qu'entre salaires bloqués et prix des produits de première nécessité en forte hausse, leur pouvoir d'achat avait tout sauf augmenté l'an dernier. Mais c'est qu'il y a chiffres et chiffres, et "ménages" et "ménages".

Les "ménages" de l'Insee, en effet, c'est tout le monde et n'importe qui: c'est Sellière et c'est le smicard, c'est le couple de cadres supérieurs et le chômeur célibataire. Ainsi une augmentation "moyenne" du pouvoir d'achat peut-elle tout à fait recouvrir une hausse pour les uns et une baisse pour les autres.

C'est particulièrement vrai si l'on prend en compte certaines situations individuelles: dans une période où les fermetures d'entreprises succèdent aux suppressions d'emplois, comme c'est le cas depuis des années, un nombre important de travailleurs licenciés ne retrouvent qu'un travail plus mal payé, ou n'en retrouvent pas du tout. L'Insee estime la perte de revenu à 20% dans le premier cas, et 50% dans le second. Toutes ces situations souvent dramatiques sont escamotées par la grande "moyenne" des "ménages".

Une autre raison de relativiser les annonces de l'Insee sur l'évolution du pouvoir d'achat, c'est sa manière de calculer la hausse des prix. On sait que le "panier" de produits qui sert de référence à l'Insee pour ce calcul est assez contestable. Mais en dehors du panier, il y a d'autres pommes de discorde.

Ainsi, lorsqu'un produit est amélioré (comme, par exemple, quand une voiture est équipée d'airbags en série), la hausse du prix n'est pas comptée comme telle par l'Insee, qui considère que cette hausse correspond à une amélioration du produit. Il n'empêche que, pour le consommateur qui doit sortir l'argent de sa poche, l'augmentation du prix est bel et bien là. Et si l'on calcule la hausse des prix en se plaçant de ce point de vue, on arrive à un chiffre sensiblement différent de l'Insee: 5% de différence, rien que depuis 2001!

Enfin, lorsque ce sont, comme actuellement, les produits de base qui augmentent le plus (loyers, essence, tabac...), les plus petits revenus en souffrent bien davantage que les plus gros, ne serait-ce que parce que ces postes de dépenses pèsent beaucoup plus lourd dans leur budget. Et là encore l'Insee, avec ses statistiques "moyennes", ne montre pas les disparités qui se cachent derrière elles.

Cela dit, même avec toutes les précautions prises, les chiffres de l'Insee témoignent à leur manière, même atténuée, de la situation des travailleurs. Ainsi, si l'on considère une échelle de temps plus longue, le pouvoir d'achat du salaire net moyen, qui avait été multiplié par trois de 1951 à 1978 (en 27 ans), n'a officiellement progressé que de 12% depuis (sur une période de 27 ans également)!