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Leur société
L'état d'urgence prolongé de trois mois : Plus de policiers, mais pas moins de problèmes
Dans son discours de lundi 14 novembre, Chirac a affirmé que l'état d'urgence était "strictement temporaire" et ne serait appliqué que là où il était "strictement nécessaire". Au moment où cet état temporaire a été prolongé, il était appliqué, suivant des modalités variables, dans 70 communes, réparties dans six départements.
Dans les Alpes-Maritimes, en raison de l'état d'urgence, le couvre-feu est appliqué aux mineurs dans quatorze communes, qui vont de Nice, ville de plus de 500000 habitants, à Mougins, ville de 16000 habitants surtout connue pour ses restaurants gastronomiques et ses villas luxueuses. En Seine-Maritime, le couvre-feu vise les mineurs de moins de seize ans dans toutes les grandes agglomérations (Rouen, le Havre, Elbeuf) pour un total de 48 communes. Il concerne également les mineurs de cinq communes du Loiret, dont Orléans, ainsi que ceux de l'agglomération d'Amiens (Somme) où sont, en outre, fermés tous les lieux de réunions, publics et privés, de certaines rues de la ville. La ville d'Évreux, dans l'Eure, n'applique le couvre-feu qu'à un seul quartier, mais le boucle complètement. À partir de 22 heures, le quartier de La Madeleine, constitué de barres de logements, est fermé par des grilles métalliques, surveillées par des policiers. Il faut montrer ses papiers et justifier sa présence pour entrer ou sortir. D'autres policiers patrouillent dans les rues et arrêtent tous ceux qu'ils rencontrent. Tous les commerces et lieux publics sont fermés. Un hélicoptère muni d'un projecteur survole la ville. Ce dispositif compte 150 policiers pour une population de 20000 habitants (150 policiers pendant deux semaines, cela fait six instituteurs pendant un an, en ne comptant que les salaires).
En plus de ces communes où le couvre-feu est permanent, des mesures ponctuelles peuvent être prises, comme l'a été l'interdiction de tout rassemblement à Paris durant le week-end du 12 novembre et la présence massive de policiers dans les gares pour dissuader tous les "envahisseurs" potentiels venant de banlieue.
Avec ou sans mesure de couvre-feu, les 11500 policiers intervenant tous les jours "dans les quartiers" ont interpellé depuis deux semaines près de trois mille personnes, dont six cents sont écrouées et plus de trois cents déjà jugées et condamnées à des peines de prison ferme. Comme on a pu le voir dans des reportages télévisés, les flagrants délits étant rares, les policiers arrêtent souvent les gens au petit bonheur, embarquant tout ce qui porte capuche et survêtement. Comme toujours, la police a tendance à être d'autant plus brutale et méprisante que "l'interpellé" est plus pauvre, plus jeune et a la peau plus foncée. Cette inclination naturelle est forcément renforcée par la fatigue, le stress et la multiplication des interventions. Elle est de plus encouragée, quoi qu'il en dise, par Sarkozy. Quand il traite les jeunes de "racailles", quand il parle de "nettoyage au Kärcher", les policiers le prennent au pied de la lettre. Quand il dit que la police ne doit faire preuve "d'aucune familiarité, d'aucun tutoiement" à l'égard de ceux qu'elle interpelle, les policiers apprécient la plaisanterie en connaisseurs.
L'état d'urgence facilite grandement le travail des policiers, puisqu'il fabrique un motif d'arrestation: infraction au couvre-feu, qu'il y ait eu ou non, à proximité ou pas, un incident quelconque dont on puisse, à tort ou à raison, accuser l'intéressé. Les policiers vont être encore contraints d'être sur le pied de guerre pendant trois mois, mais les fatigues intellectuelles de la recherche, a posteriori, du motif d'arrestation, leur seront épargnées, au moins là où le couvre-feu sera appliqué.
L'état d'urgence prolongé ne réglera en rien les problèmes des cités populaires, même pas ceux qui sont d'ordinaire du ressort de la police. En cas de couvre-feu dans sa cité, un dealer pourra sans difficulté changer les horaires de son trafic. En revanche un ouvrier en trois-huit ou une femme de ménage qui travaille la nuit devront tous les jours passer les barrages. L'installation à demeure de CRS dans certains quartiers, la marginalisation de certains autres, matérialisée par des barrages de police et des survols d'hélicoptère, la chasse au faciès généralisée, l'omniprésence de la police et son pouvoir de plus en plus discrétionnaire, son arrogance croissante vis-à-vis de la population, tout cela rendra en fait la vie plus difficile et les rapports humains encore plus tendus dans les quartiers populaires. Mais à Neuilly, de l'autre côté des barrières, celles de la police et celle de la fortune, et auprès de la fraction la plus réactionnaire de l'électorat, la popularité de Sarkozy montera sans doute encore.