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Liban et Syrie - "rapport Mehlis" : Quand Bush et Chirac se préoccupent de justice et de vérité
Après la publication du rapport de la commission d'enquête de l'ONU sur l'assassinat de Rafic Hariri, les pressions se sont accentuées sur le régime syrien, tant de la part des dirigeants américains que des dirigeants français ou de l'ONU.
En effet, selon le "rapport Mehlis", du nom du juge allemand qui en a été chargé, l'assassinat n'aurait pu être accompli sans "l'approbation des plus hauts responsables des services de sécurité syriens" et "la collusion de leurs homologues dans les services de sécurité libanais". Le rapport précise que "vu l'infiltration des institutions libanaises par les services de renseignement syriens et libanais oeuvrant en tandem, il serait difficile d'imaginer qu'un scénario ou un complot en vue d'un assassinat aussi complexe aurait pu être mené à leur insu". Et de conclure qu'"il incombe à la Syrie de clarifier une grande partie des questions non résolues".
Cependant, ce rapport ne fait là qu'énoncer des faits connus: qu'il y ait eu au Liban une imbrication des services de renseignement libanais et syriens, que l'attentat contre l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ait pu difficilement être préparé à leur insu, cela chacun le sait à Beyrouth. Mais cela ne dit pas pourquoi l'attentat qui lui a coûté la vie le 14 février dernier a eu lieu; ni par qui, à quel niveau, il a été décidé.
Or Rafic Hariri n'était pas le héros au coeur pur dont politiciens et médias ont fabriqué l'image après sa mort. Son règne avait été celui de l'affairisme, des combines financières et des spéculations immobilières débridées, en collaboration avec les divers services de l'État libanais et même avec le régime syrien et ses services présents au Liban.
Alors quel clan, quelle mafia parmi les différentes mafias libanaises ou libano-syriennes a-t-elle voulu sa mort? On ne le sait pas mais il est certainement trop simple de réduire l'affaire à un épisode d'affrontement entre un homme décidé à promouvoir l'indépendance du Liban et un régime syrien décidé à maintenir coûte que coûte son hégémonie sur ce pays. Non seulement les services des deux pays sont enchevêtrés, comme le constate le rapport lui-même, mais les clans de la bourgeoisie et les mafias des deux pays le sont tout autant; certains clans de la bourgeoisie libanaise sont notoirement liés à des clans syriens et catalogués à ce titre comme "pro-syriens".
Cela après tout n'est pas étonnant, puisque le Liban et la Syrie restent en grande partie un même pays. Le Liban n'existe de façon indépendante que grâce à la main du colonialisme français, qui l'a détaché de la Syrie en 1926, alors qu'il contrôlait les deux pays; l'impérialisme français estimait qu'il serait plus facile de s'attacher un petit pays comme le Liban, en conférant à sa bourgeoisie quelques privilèges, que de contrôler l'ensemble alors en révolte contre la domination coloniale.
En revanche, il est évident qu'une partie des dirigeants politiques libanais ont saisi l'occasion pour tenter de faire croire à la population que tous les problèmes du pays étaient dus à la présence syrienne. Et ils ont tenté de faire l'unité autour d'eux sur la base de la condamnation des méthodes de l'occupant syrien. Ils ont trouvé l'appui des dirigeants américains, français et autres, ravis de pouvoir montrer du doigt la Syrie et la stigmatiser comme exemple d'un régime arabe refusant de se plier à la "démocratisation" qu'ils disent vouloir aider à mettre en oeuvre au Moyen-Orient.
Le régime syrien est sans doute une dictature, pas plus sympathique que les autres qui sévissent dans la région. Les conflits politiques en son sein, et aussi au Liban, se font souvent par le biais d'assassinats ou de suicides vrais ou faux. Mais il est étrange de voir Bush, et à sa suite Chirac, soudain si pressés d'amener le régime syrien à d'autres méthodes, voire de l'abattre. On n'est pas habitué à voir Bush, par exemple, faire pression sur Israël pour convaincre ses dirigeants d'adopter un comportement plus humain à l'égard des Palestiniens, ni sur l'Arabie saoudite pour la presser de se rallier aux principes de la démocratie occidentale et de la transparence.
Seulement il se trouve qu'au goût des dirigeants occidentaux, le régime syrien ne coopère pas suffisamment à leurs intérêts, voire qu'il protège certains groupes de la guérilla sunnite qui s'oppose aux troupes américaines en Irak. Quant à "l'indépendance" du Liban, les groupes américains ou français ne la conçoivent que vis-à-vis de la Syrie. Eux, ils veulent pouvoir dominer et contrôler l'économie libanaise, et ses banques qui jouent un rôle central dans les transactions de toute la région, sans devoir tenir compte du régime de Damas et de ses propres groupes d'intérêts.
Alors, comme d'habitude, les mots "indépendance", "démocratie", "vérité", "justice" ne sont brandis là que pour cacher d'autres desseins, bien plus terre à terre, des dirigeants occidentaux et de leurs trusts. Si ce n'est même la préparation d'une intervention, venant après celle des États-Unis en Irak, pour rétablir la "démocratie" à Damas de la même façon brillante dont elle a été rétablie à Bagdad...