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La loi sur le "rôle positif" de la colonisation : Expurgez, il n'y a rien à savoir
Le rassemblement organisé à Paris pour commémorer la manifestation du 17 octobre 1961, durant laquelle plusieurs centaines de manifestants algériens furent tués, a été l'occasion de réclamer de nouveau l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février dernier.
Cette loi exige en effet que "les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer" et soulève de ce fait depuis des mois, à juste titre, l'indignation d'historiens, d'enseignants, mais aussi de tous ceux que révolte le silence fait sur les massacres coloniaux.
"La loi du 23 février n'implique aucune modification des programmes actuels d'histoire, qui permettent d'aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses éclairages", a déclaré le ministère de l'Éducation nationale. Cette déclaration est bien peu convaincante, car alors, pourquoi une telle loi a-t-elle été votée?
"Il n'y a pas d'histoire officielle en France", prétend le gouvernement sans rire. Pas d'histoire officielle? Mais durant quarante ans les crimes d'État commis le 17 octobre 1961 ont bien été "officiellement" occultés, et ils n'ont d'ailleurs toujours pas fait l'objet d'une condamnation de la part de l'État français! Il n'y aurait pas "d'histoire officielle" ? Mais que trouve-t-on dans les manuels scolaires depuis des décennies, si ce n'est le point de vue "officiel" sur la colonisation ? Comme le souligne Claude Liauzu, enseignant à l'université Paris-VII et un des principaux initiateurs de l'Appel des historiens et des enseignants pour l'abrogation de la loi du 23 février: "Après avoir longtemps exalté la "plus grande France", les programmes scolaires ont minimisé, voire occulté cinq siècles d'histoire coloniale. Il aura fallu attendre la loi d'avril 1999, destinée à satisfaire les aspirations des anciens combattants, pour que l'expression "guerre d'Algérie" soit enfin employée dans un texte de loi à la place de "pacification", "événements" ou "maintien de l'ordre"."
Durant des décennies, les manuels scolaires n'ont pas évoqué la barbarie de la répression commise en Algérie par l'armée française, et surtout pas la torture. Les manuels plus récents désormais l'évoquent, mais souvent rapidement, quand ils ne la minimisent pas. Certains manuels n'emploient même pas le mot ou utilisent des euphémismes. Ainsi on peut lire, dans un manuel édité chez Hachette et paru à la fin des années 1990, à propos de la bataille d'Alger et de la répression féroce menée par les paras et le général Massu : "Le FLN est malmené." Un responsable de ces éditions justifiait ainsi cette phrase plus qu'allusive: "Nous avons fait le choix de ne pas citer la torture, qui est un sujet polémique. Un manuel n'est pas une tribune... On ne s'interdit pas de citer les faits, naturellement, mais il y a trois ans, quand le manuel a été écrit (fin des années 1990), donc avant le livre et les aveux de Massu, la torture n'était pas encore un fait historique." Cette grossière justification avancée par un éditeur, citée dans un article, daté de 2001, intitulé "La mémoire expurgée des manuels scolaires" de la revue Manière de voir du Monde diplomatique, est édifiante sur ce silence voulu des autorités françaises à propos des exactions coloniales.
Il faut croire que, pour les promoteurs de la loi du 23 février, le peu d'éléments qu'on trouve dans les manuels d'histoire est encore de trop.