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Leur société
Le programme de Fabius : Une cuillerée de gauche dans une louche de caviar
Laurent Fabius, qui fut Premier ministre de Mitterrand, ministre des Finances de Jospin et qui, selon ses propres termes, «a contribué à réconcilier les Français avec l'entreprise», a décidé de conquérir le PS d'abord, la présidence de la République ensuite. Il a choisi pour l'instant de se distinguer en tenant un discours «de gauche».
Sa première étape a été sa prise de position en faveur du non au référendum sur la Constitution européenne. La deuxième est le dépôt de sa motion, intitulée Rassembler à gauche en vue du congrès du PS qui doit avoir lieu en novembre.
Cette tonalité «de gauche» est donnée par des têtes de chapitre comme «Face à la mondialisation libérale, l'Europe sociale, puissante et démocratique», «Le plein emploi est possible, la hausse du pouvoir d'achat est nécessaire» ou «Porter un coup d'arrêt au démantèlement des services publics». Cela sonne comme un discours altermondialiste et c'est bien suffisant pour que le soi-disant «tournant à gauche» soit reconnu par les journalistes et les adversaires de Fabius.
Pourtant le texte ne contient que quelques propositions concrètes et chiffrées. Elles sont insignifiantes. Il y a la promesse du passage du smic à «1400 à 1500 euros» d'ici 2012: c'est juste l'inflation, en supposant qu'elle continue au même rythme. Fabius s'engage donc à ne pas baisser le smic. Il y a la promesse de construire 120000 logements par an: c'est à peu près ce que promet l'actuel ministre de droite, Borloo.
Fabius ne propose d'abroger que deux mesures prises par la droite: le contrat nouvelle embauche (CNE) de Villepin (les patrons en seront quittes en reprenant les bons vieux CDD...) et la loi «Chirac-Fillon» sur les retraites, mais sans dire par quoi il la remplace. Il n'est pas question de revenir aux 37,5 annuités de cotisation pour tous. Par ailleurs Fabius constate que le calcul de la retraite établi par Balladur (basé sur les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures) est défavorable aux travailleurs et même d'autant plus défavorable que les périodes de chômage ont été plus nombreuses. Passons sur le fait qu'il aurait pu s'en rendre compte lorsqu'il était dans un gouvernement et disposait d'une majorité qui pouvait abroger les décrets Balladur, tout comme l'a fait la droite qui n'a pas eu la moindre hésitation pour abroger des lois votées sous Jospin. Mais en plus, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, non seulement Fabius ne formule aucune proposition chiffrée, mais il s'en remet à la négociation avec les «partenaires sociaux», c'est-à-dire à la bonne, ou plutôt à la mauvaise volonté des patrons.
Le reste est une série de phrases creuses qui, lorsqu'elles veulent dire quelque chose, ne sont en rien contraignantes pour le grand patronat. Par exemple: «Les délocalisations sauvages seront sanctionnées». Qui définira le degré de sauvagerie, quelle sera la sanction et qui veillera à son application? Motus.
«Généralisation à tous les licenciés économiques d'un congé de reclassement... Le financement de ce dispositif pourrait être assuré par l'entreprise, intégralement pour celles qui font des bénéfices, avec une contribution de l'assurance chômage et du Fonds national pour l'emploi pour celles qui sont en difficulté». Dans le même souffle Fabius promet que, non seulement les entreprises qui font des bénéfices pourront continuer à licencier mais qu'en plus ce sont les fonds publics, et pas les patrons, qui paieront pour reclasser les licenciés des entreprises «en difficulté». Quel patron ne sera pas assez malin pour démontrer qu'il est en difficulté ?
«Modifier la structure des prélèvements sur les bas salaires de façon à accroître le salaire net pour les plus bas salaires»: les bas salaires augmenteront et ça n'est pas certain. Mais cela ne coûtera rien aux patrons.
«Considérablement augmentées par la droite, les exonérations de charges aux entreprises atteignent désormais 20 milliards d'euros par an... Plus d'exonérations sans contreparties en termes d'embauche et de progression salariale». Donc les exonérations continueront. La gauche en a institué, puis la droite a continué, Fabius poursuivra, mais demandera aux patrons, là encore, un petit effort d'imagination pour monter leur dossier. Cela donnera du travail à quelques créatifs de la comptabilité et autres chasseurs de subventions et les caisses de l'État continueront à se déverser dans celles du grand patronat.
La partie politique de la motion est dans la même tonalité. Revenant sur la défaite de 2002, Fabius explique que le PS a déçu son électorat populaire et qu'il s'agit de le reconquérir. Il fait pour cela de louables efforts, parlant du capital et du travail (mais pas de la lutte de classe) et parsemant sa motion du mot «ouvrier», ce mot que Mauroy reprochait aux socialistes d'avoir oublié. C'est sans doute cela, plus que le reste, qui, au PS, fait «de gauche»: Fabius parle de gagner la confiance et les voix des classes populaires. Quant à y parvenir, c'est une autre histoire.