Un spectre hanterait l'Europe, l'" extrémisme de tout poil " ?22/09/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/09/une1938.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Un spectre hanterait l'Europe, l'" extrémisme de tout poil " ?

C'est un spectacle plutôt comique que celui du monde politique bourgeois, de droite comme de gauche, de ce côté comme de l'autre du Rhin, groggy parce que les grands partis SPD et CDU/CSU ont fait parmi les pires scores électoraux de leur histoire et parce qu'un nouveau venu, le Linkspartei (Parti de gauche) avec ses 8,7%, a quelque peu bousculé leur jeu. Libération tient le pompon de l'indignation : " L'Allemagne entre dans ce club de nations où la capacité de nuisance des protestataires et radicaux bloque le jeu régulier des alternances et paralyse les politiques de long terme (...) le Linkspartei, coalition " anti-libérale " hétéroclite, handicape désormais les chances du SPD de revenir au pouvoir... "

Mais pourquoi le SPD dirigé par Gerhard Schröder ne fait-il " que " 34,3% des voix et 222 députés ? Pourquoi la CDU/CSU dirigée par Angela Merkel " que " 35,2% de 225 députés ? Si ce n'est parce que leur politique, du SPD au gouvernement mais de la CDU dans une opposition qui ressemblait à de l'approbation totale de l'offensive contre les travailleurs et les plus pauvres, ont trouvé quelque sanction dans les urnes ! Loin pourtant de la sanction qu'ils méritaient. Même pas la gifle de Jospin en 2002 ni celle de Chirac en mai dernier.

Aussitôt les résultats proclamés, les deux leaders discrédités se sont livrés à un duo d'opérette, sur le thème : c'est moi la chancelière, c'est moi le chancelier. Qui donc des deux ? Les alliés Verts du SPD ayant fait 8,1% et obtenu 51 sièges, et les alliés FDP (libéraux) de la CDU ayant fait 9,8% et obtenu 61 sièges, aucun " camp " ne totalise la nécessaire majorité de quelque 300 sièges pour gouverner. Mais toutes les combinaisons, aussi impossibles soient-elles déclarées par les uns et les autres la main sur le coeur, seront étudiées ! Et les deux grands de prendre langue entre eux, mais chacun aussi de draguer l'allié traditionnel de l'autre. Coalition CDU/FDP/Verts car lesdits Verts, sur le terrain social, sont bien proches des " néo-libéraux " les plus affirmés ? Coalition SPD/FDP/Verts, car le FDP a déjà gouverné avec le SPD ? Ou grande coalition entre SPD et CDU, car ça s'est déjà vu dans l'histoire et les deux ont de fait la même politique ? Comme pour le pape, y'a plus qu'à attendre la fumée !

Reste l'hypothèse d'une entente du SPD et des Verts avec le Parti de gauche. Oskar Lafontaine, du Parti de gauche, n'a-t-il pas fortement souligné qu'une majorité de gauche l'avait emporté en Allemagne ? Pourquoi, si ce n'est pour rappeler sa propre vocation à gouverner ? Il y a juste la question tactique du quand et comment. Les leaders du Parti de gauche, Oskar Lafontaine et Gregor Gysi ont apparemment fait le choix de se hâter sans se presser, de bâtir leur nouveau Parti de gauche (qui n'est pour le moment qu'un cartel électoral) et d'attendre que le SPD se discrédite davantage encore dans une future coalition gouvernementale, pour grossir et remporter le vrai paquet aux coups électoraux suivants. Et Schröder, pour le moment, dit ne pas vouloir de ces dissidents.

Les 8,7% pour le Parti de gauche ont marqué l'élection. Les notables de droite comme de gauche se sont sentis visés et ont dénoncé ce vote de " déçus " , " frustrés " , " irréalistes d'extrême gauche " , " partisans d'un programme impossible à financer " ! Illusionnés ou pas par le tandem Lafontaine/Gysi, ceux du milieu populaire qui ont voté pour lui ont eu le culot, légitime, de refuser le prétendu " vote utile " et de délivrer ainsi un avertissement au SPD et à la CDU, amis des patrons, dont la politique au gouvernement comme dans l'opposition, a conduit aux records de chômage (5 millions) et records de profits.

Cela dit, Oskar Lafontaine n'est évidemment pas le " trublion rouge " que des journaux ont dénoncé. Cette sommité d'Attac a été président du SPD et ministre des Finances de Schröder. Son acolyte Gysi est une des têtes de ce PDS (issu de l'ancienne SED gouvernementale en Allemagne de l'Est) qui participe à des coalitions gouvernementales régionales, en particulier au Sénat de Berlin où il mène la même politique anti-ouvrière que le SPD au niveau national. Et les promesses de campagne, telles la revendication d'un salaire minimum de 1400 euros pour tous, n'étaient électorales et avaient leurs limites : pas question d'abroger ou d'abandonner le train de mesures anti-ouvrières et anti-chômeurs prises par le gouvernement Schröder. Seulement de les réaménager.

Bien significatives d'ailleurs ont été les réactions des chefs du Parti de gauche au soir des élections. Contents de leurs 54 sièges de députés ! Contents d'avoir atteint 25% et dépassé la CDU dans l'Est de l'Allemagne. Un tournant pour l'Allemagne, a dit Gysi. Une étape dans la fusion des deux partis, a répondu Lafontaine. Ni l'un ni l'autre n'a évoqué la moindre perspective de lutte, pour les travailleurs et les chômeurs, sur un terrain qui serait autre qu'électoral et parlementaire.

C'est pourtant la seule chose qui correspondrait aux intérêts des travailleurs. Mais ce n'est pas cette " gauche de la gauche " dirigée par d'ex-ministres, comme ici les Fabius, Buffet et Mélenchon, préparant leur retour au gouvernement, qui entreprendra quoi que ce soit qui mette des bâtons dans les roues du grand patronat. Qui pourtant continue à précariser, sous-payer, licencier. De façon la plus abrupte à l'Est, en empochant l'argent de l'État pour créer des entreprises fermées presque aussitôt. Mais partout ailleurs aussi, en particulier par milliers chez Siemens et Volkswagen.

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