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Côte-d'Ivoire : La montée des menaces
En Côte-d'Ivoire, il semble de plus en plus probable que les élections, annoncées pour le 30 octobre, n'auront pas lieu. Dans un pays où les élections ont toujours été truquées, cela peut paraître anodin. Or, dans ce pays, les clans dirigeants se déchirent depuis des années en s'appuyant sur une démagogie ethniste qui oppose les populations de l'ouest et du sud à celles originaires du nord, les Ivoiriens aux étrangers; et cette haine ethniste, que les dirigeants rivaux s'efforcent de susciter et d'entretenir, a déjà conduit à plusieurs reprises à des massacres. Ce climat pèse de plus en plus sur les milieux populaires. Les tensions sont encore aggravées par le fait que, depuis septembre 2002, une rébellion de l'armée a conduit à la partition du pays : les régions du nord étant désormais aux mains du mouvement des "Forces nouvelles", elles échappent au contrôle du régime du président Laurent Gbagbo. L'objectif de la réunification du pays par la reconquête de ces territoires sert de prétexte à l'accentuation de la démagogie nationaliste et xénophobe. Les "milices patriotes", proches du clan Gbagbo, et principaux vecteurs de cette démagogie ethniste dans la population, sont de plus en plus visibles, et de plus en plus actives.
L'avenir est donc lourd de menaces. Comment ne pas penser au Rwanda? Et comment ne pas penser à la part de responsabilité de l'impérialisme français dans la dégradation de la situation là-bas?
À ce propos, voici des extraits du Pouvoir aux Travailleurs, mensuel trotskyste paraissant en Côte-d'Ivoire et daté du5 août 2005:
"Plus s'approche la date prévue pour l'élection présidentielle, plus il apparaît évident que cette élection constituera, non la fin de la crise qui déchire le pays, mais l'annonce de nouvelles catastrophes. Que l'élection puisse se dérouler à la date prévue du 30 octobre ou pas, la guerre que mènent les clans qui se disputent le pouvoir sera relancée avec toutes ses conséquences dramatiques pour la population.
Si l'élection a lieu, quel qu'en soit le résultat, les vaincus ne l'accepteront pas et accuseront le vainqueur de tricherie. Ils n'auront pas de mal à trouver des exemples pour appuyer leurs accusations. Et surtout, ils auront les moyens de refuser le résultat car les deux camps sont armés et aucun n'a l'intention de lâcher les armes. Ils ne savent que trop bien que ce sont les armes qui assurent le pouvoir et pas les urnes.
La guerre qu'ils se préparent à aggraver n'est pas la nôtre, ouvriers, employés, chômeurs, petits paysans, petits marchands. Depuis trois ans qu'elle dure, nous en subissons déjà les conséquences douloureuses: des morts, des blessés, des ruines, mais aussi l'insécurité permanente, les rackets, la misère qui devient de plus en plus difficile à supporter. Et aussi la peur, la méfiance des uns vis-à-vis des autres, à l'intérieur même des quartiers populaires, dans la même cour, entre voisins.
(...) Les chefs des clans politiques et leurs sous-fifres, Gbagbo et les siens d'un côté, Ouattara et Bédié momentanément alliés de l'autre, voudraient bien nous enrôler, les uns et les autres, suivant nos sympathies politiques ou nos ethnies, dans leurs camps respectifs. Ils voudraient bien que leurs armées et leurs milices soient soutenues par un nombre croissant d'entre nous. Ils voudraient bien nous transformer en fantassins de leurs causes respectives.
Mais dans une guerre, seuls les généraux de l'un des camps ou de l'autre peuvent gagner. Jamais les fantassins. Aux petits soldats les morts, les blessés, les souffrances. Aux généraux vainqueurs, le pouvoir et la richesse qui va avec. Mais qu'est-ce que cela changera pour nous que l'un ou l'autre l'emporte?
Que ce soit Gbagbo qui sorte victorieux des affrontements à venir ou que ce soit Ouattara et Bédié, ou encore qu' un quelconque militaire émerge comme quatrième larron après un coup d'État, il n'y aura toujours pas de travail pour tous, les salaires seront toujours aussi bas, les villages seront toujours aussi pauvres et les dirigeants continueront à engloutir l'argent de l'État, au lieu de le consacrer à la santé publique, aux hôpitaux, aux équipements indispensables comme l'eau potable ou des canalisations correctes dans les quartiers populaires.
Oui, nous savons tous, en réfléchissant posément, qu'aucun de ces dirigeants ne changera notre sort. L'un d'entre eux est au pouvoir, les deux autres y sont passés, sans que cela change la vie des classes populaires. Alors, pourquoi mourir pour eux? Pourquoi s'entretuer?
Pendant qu'ils essayent de nous passionner pour leur guerre à eux, en dressant les uns contre les autres ceux d'entre nous qui sont nés au sud et ceux d'entre nous qui sont nés au nord, les soi-disant vrais Ivoiriens contre les étrangers, ils mènent ou laissent se dérouler une autre guerre contre nous tous, celle menée par les riches et l'État contre les classes populaires.
(...) Tous ceux qui essayent de nous dresser les uns contre les autres, de nous entraîner dans une guerre ethnique stérile, sont des criminels, pire que des assassins. Ils ne se contentent pas de tuer eux-mêmes - ils veulent nous transformer, à notre tour, en tueurs. Il faut rejeter leurs propagandes, leurs mensonges remplis du poison de la haine ethniste et xénophobe.
Pour les classes laborieuses, pour ceux qui font vivre la société et dont le travail n'enrichit que les capitalistes et les grands mangeurs de l'État et ses petits parasites, il n'y a qu'une seule guerre juste, une seule guerre féconde: celle qu'il leur faudra apprendre à mener, d'abord pour se défendre, pour imposer des conditions de vie meilleures, mais aussi, pour changer le système économique et social afin qu'un jour les richesses ne soient pas accaparées par une minorité mais qu'elles profitent à tous.
Et cette guerre-là, contre ceux qui sucent le sang des classes populaires, nous ne pouvons la mener efficacement que tous ensemble, travailleurs et pauvres de toutes origines."