Un exemple de «Non» de gauche04/08/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/08/une1931.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Un exemple de «Non» de gauche

Invitée sur France 2 pour la promotion de son dernier livre "Non et après", Marie-Noëlle Lienemann, vice-présidente de la Région Nord-Pas-de-Calais, députée du PS au Parlement européen, ex-ministre et secrétaire d'État au logement dans les ministères Bérégovoy et Jospin, et aujourd'hui ralliée officiellement à Fabius, ne mâche pas ses critiques contre Hollande.

Elle écrit aussi que Jospin, dont elle a pourtant été ministre, a perdu la présidentielle parce qu'il n'a pas l'envergure d'un véritable homme politique. Elle écrit surtout que la direction actuelle du Parti socialiste, c'est-à-dire Hollande, ne sait pas écouter la population et que cela l'a amené à faire voter «Oui» par le PS lors du référendum. Fabius, lui, saurait écouter la voix du peuple et c'est pour cela qu'il a fait gagner le «Non» en faisant ce choix avec le reste de la gauche (comprenez essentiellement le PCF).

Au fil des pages on peut lire qu'une partie du peuple n'est jamais prise en compte et qu'elle est invisible, oubliée et négligée. Que c'est pour cela que Chirac a vu le référendum se retourner contre lui. Même chose pour Hollande qui, pour renforcer sa position face à Fabius qui aurait dû être obligé de se rallier à lui, a organisé très vite un référendum parmi les 100 000 militants socialistes. Militants, note-t-elle, «parmi lesquels il y a peu d'ouvriers et peu d'employés et qui ne reflètent pas exactement la réalité du peuple de gauche».

Elle se dit «heureuse de la franche victoire du «Non» (nous aussi) et fière de son pays et «du peuple de gauche» ajoutant «qu'à la veille du référendum notre peuple a eu l'intuition d'un tournant historique» et qu'il fallait un acte fondateur de ce tournant.

«Le réveil démocratique lors du vote référendaire tient presque du miracle.»

Le défaut de cet alignement de sophismes c'est que, pour répondre à ceux qui dans le PS accusent le «Non» d'être nationaliste et xénophobe, elle a beau dire «que la gauche porte la grosse majorité du "Non"», elle parle de la «majorité du "Non"» comme si c'était la majorité au référendum.

Que la majorité des votes «Non» vienne d'électeurs de gauche c'est peut-être vrai, mais ce n'est pas une raison pour considérer que les voix d'extrême droite n'ont compté pour rien dans la victoire du «Non». Il est même évident que, sans ces voix, le «Non» ne l'eût pas emporté car comment croire que dans les bulletins «Non» il n'y en ait pas, au moins, six ou dix pour cent d'extrême droite. C'est là une impasse malhonnête de la part de tous ceux qui présentent la victoire du «Non» comme devant changer les choses pour la population. Au point que certains disent aujourd'hui que Chirac n'a pas tenu compte du «Non».

Autant il fallait refuser cette constitution sans se soucier de qui la refusait aussi et sans faire quoi que ce soit qui aurait pu permettre au «Oui» de l'emporter, y compris s'abstenir, autant il ne fallait pas et il ne faut pas présenter la victoire du «Non» comme devant et pouvant changer les choses. Aucun de nos adversaires ou prétendus amis n'est dupe, il ne faut donc pas tromper ceux qui nous font confiance.

Et M.-N. Lienemann pourfend ceux qui, au PS, reprochent «d'aller au meeting avec Marie-George Buffet» en oubliant dit-elle que Buffet «a participé au gouvernement Jospin» et n'a «jamais renoncé à y retourner avec les communistes».

Elle affirme aussi, ce que nous approuvons pleinement, «que les principaux protagonistes de la présidentielle (ceux de gauche) n'ont pas su ou pas voulu tirer les leçons de leur échec».

Certains, dit-elle, rejetaient la cause de l'échec du 1er tour le 21 avril sur une mauvaise campagne ou «l'irresponsable pluralité des candidatures de la gauche». Même si cela a compté, précise-t-elle, «l'ultime raison de la défaite» est due au décrochage entre les élites du parti, les choix du gouvernement et les attentes sociales.

Enfin, une autocritique socialiste! D'autant qu'elle ajoute plus loin, citant un propos de Pierre Mauroy, il est vrai lors d'une campagne électorale et pas comme Premier ministre: «Le mot "travailleurs" n'est pas un gros mot». Veut-elle donc que Fabius, s'il a l'occasion de faire campagne, commence ses discours par «Travailleuses, travailleurs», pour obliger Arlette Laguiller à changer le début de ses interventions?

Elle insiste sur le fait que la dynamique unitaire serait le garant d'une ligne de changement social. On ne l'a pourtant guère senti lors de «l'Union de la gauche», ou de la «gauche plurielle».

Mais ce qui est le plus intrigant, c'est cette affirmation à l'encontre de Hollande: «Le fait d'amener les gens de gauche à voter dans le sens de Jacques Chirac relève à ce titre d'une absence d'intuition politique».

Mais qu'en est-il alors du fait d'avoir fait voter, non seulement «dans le sens» de Chirac au référendum mais «pour» Chirac à la présidentielle? Silence là-dessus.

Quant à Laurent Fabius qui aurait très bien compris le sens du 21 avril, il se déclara après contre la privatisation d'EDF, pour un «indispensable rassemblement de gauche», pour une Europe au service «d'une autre mondialisation» (laquelle?), et contre la réduction des impôts qui entraînait un assèchement des ressources de notre protection sociale.

Car, écrit-elle, pour gagner en 2007, la gauche doit être entièrement unie, mais autour du Parti socialiste, c'est-à-dire, en deux syllabes, de Fabius.

Mais dans ce livre elle ne parle pas que des dirigeants du PS, elle a quelques mots pour l'extrême gauche.

Elle répond ainsi à ceux qui agitent, à propos de cette union large, ce qu'elle appelle «l'épouvantail de l'extrême gauche» en précisant: «Que je sache Olivier Besancenot n'a pas encore le couteau entre les dents. Et d'ailleurs on peut se réjouir de la distance qu'il a prise avec sa comparse Arlette Laguiller, toujours enfermée dans un nihilisme dangereux.»

Le choix des termes est remarquable: Olivier Besancenot n'a «pas encore», notez bien le «pas encore» le couteau du sanguinaire bolchévique entre les dents. Pour en comprendre le sel il faut se reporter aux affiches de droite des années trente représentant la tête d'un affreux tenant entre ses dents un couteau sanglant. Quant à Arlette, «sa comparse», elle est déjà enfermée non seulement dans le nihilisme, mais dans un «nihilisme dangereux»! Nihiliste à la Nietzche ne suffisait pas, en ajoutant «dangereux», cela ajoute un parfum d'attentats fin XIXe siècle. On comprend qu'Olivier Besancenot ait pris, comme elle dit, de la distance vis-à-vis d'Arlette.

Lors de son interview sur France 2, elle a cependant nuancé ses propos et répondu au journaliste qui lui demandait si cette union devait aller jusqu'à l'extrême gauche (entendez la LCR):

«C'est l'extrême gauche qu'on doit mettre au pied du mur. Veulent-ils vraiment qu'il y ait un gouvernement de gauche?» «Si eux ne veulent pas soutenir une dynamique d'union, c'est leur problème, ce n'est pas le nôtre. Les socialistes doivent être le coeur du rassemblement le plus large, mais à condition que ce soit pour gouverner et pas pour faire simplement des manifestations qui sont utiles mais pas suffisantes».

C'est au moins un chantage envers Olivier Besancenot et la LCR: «ralliement total à Fabius ou la porte!»

On ne sait si, au congrès socialiste d'octobre, Laurent Fabius l'emportera sur Hollande et sera en voie d'être le candidat du PS à la présidentielle de 2007 et on sait encore moins si Marie-Noëlle Lienemann exprime ce que pense Fabius sans le dire mais, si c'est le cas, c'est alors à Olivier Besancenot de choisir, ou pas, via Marie-George Buffet et Mélanchon, de sauter le mur et de rallier le camp de Fabius.

R.G.

"NON et après" de Marie-Noëlle Lienemann - Gawsevitch éditeur - 16 euros

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