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Tribune de la minorité
Bientôt l’Impôt de solidarité avec les fortunés ?
Le 14 juillet, au jeu télévisé des questions-réponses, Chirac avait l'air de se faire encore plus bailler lui que nous. Mais à propos de l'une des «inquiétudes des Français», son oeil s'est soudain éclairé: l'Impôt de solidarité sur la fortune. Bien sûr, «il est tout à fait opposé à [sa] suppression.» Mais «il s'interroge»: ne favorise-t-il pas les délocalisations d'entreprises et de capitaux, et donc le chômage? Il s'agira «d'évaluer» l'ISF d'ici la fin de l'année pour ensuite proposer au parlement des «décisions».
Jusque-là, il faut bien l'avouer, le sort dramatique de nos malheureux concitoyens riches nous avait échappé. Heureusement, la semaine dernière, le magazine Challenges a publié son classement annuel des 500 premières fortunes professionnelles de France. Le constat est accablant. «Les riches le sont de plus en plus. Depuis 1996, notre FMIC (Fortune minimale d'insertion dans le classement) est passé de 14 à 41 millions d'euros. (...) En France, le montant des 500 premières fortunes s'est accru de 11% en 2 ans, soit quatre ou cinq fois plus que la richesse nationale.» Pire encore: depuis 2003, le nombre de milliardaires (fortune professionnelle supérieure à 1 milliard d'euros) est passé de 18 à 34, le montant total des 500 premières fortunes du classement de 125 à 175 milliards d'euros.
Mais derrière la froideur des statistiques, il y a aussi des hommes et des femmes de chair et de sang. Pour eux les temps sont durs. Ainsi, Liliane Bettencourt, héritière de L'Oréal, perd pour la première fois depuis dix ans sa première place des fortunes françaises: 11 milliards 669 millions d'euros seulement de fortune professionnelle, c'est-à-dire à peine le double de ce qu'il faudrait pour combler, par exemple... le trou de l'assurance-maladie. Heureusement, la baronne, selon le magazine, «n'aime pas le mot richesse», et lui préfère celui, plus noble, de «fortune», «où il y a une notion de hasard et de destin.»
Entre autres malheureux riches, nous pourrions également citer le champion 2005, Bernard Arnault (14,342 milliards d'euros), patron du groupe de luxe LVMH, qui s'est trouvé dans la cruelle nécessité de fermer le magasin La Samaritaine et de jeter à la rue ses 700 salariés pour des «raisons de sécurité». Il aurait paraît-il l'intention aujourd'hui de transformer le bâtiment en musée d'art moderne, tant il est vrai que l'homme ne peut seulement vivre de pain, et ne penser qu'à l'argent. Ou encore la famille Mulliez (Auchan, 10 milliards), Serge Dassault (aviation et armement, 5,7 milliards), François Pinault (Pinault-Printemps-La Redoute, 5,617 milliards, et une vieille amitié avec Chirac), les familles Peugeot (3,3 milliards), Michelin (1,3 milliard), de Wendel-Seillière (1,18 milliard), Ricard (1,1 milliard)...
Le pauvre Daniel Bernard, congédié récemment de la direction de Carrefour par ses propriétaires, la famille Halley, comme s'il n'était qu'une simple caissière, progresse quand même dans le classement grâce... à ses 38 millions d'euros de prime de départ et retraite anticipée, qui vont lui permettre de lancer son propre fonds de placement. Enfin, l'un des secteurs les plus dynamiques de la bourgeoisie française moderne semble être désormais... les maisons de retraite: Jean-Michel Imbert (IGH) et la famille Attia (Hexagone Hospitalisation) font une entrée fracassante dans les 500, et la plus forte progression est celle de Charles Ruggieri (Batipart, 210 millions d'euros, soit + 740% par rapport à 2004!). Vous n'avez pas vu se multiplier les climatiseurs dans les maisons de retraite, ni s'améliorer les conditions d'accueil, ni baisser les tarifs? Vous ne voyez toujours pas où passent les subventions de l'État? Lisez Challenges...
Mais attention: le riche ne veut pas seulement des actions, des châteaux, des bijoux, des yachts, il veut aussi du spirituel, et de l'idéal. Challenges nous fait même découvrir un aspect inattendu du drame de la richesse: «savoir donner, c'est aussi un vrai problème pour les très riches». À New York la fondation Rockefeller organise des stages de philanthropie, où des riches apprennent à choisir leur association, à donner la meilleure publicité à leur geste, avec toutes les convenances et le bon goût nécessaires. Avec le dessert à la fin: le «stage sur le terrain», où l'on visite des pauvres dans les bidonvilles de Buenos-Aires, les campagnes de l'Ouganda, les townships d'Afrique du sud. Frais d'inscription au stage: 45000 $. C'est quand même plus chic que les pièces jaunes de Bernadette Chirac!
Chirac, lui, a bien saisi qu'être riche, c'est un dérangement considérable. Certains ont donc sans doute mal compris l'une de ses petites phrases du 14 juillet: «Il est normal que la fortune fasse partie des éléments de solidarité d'un pays». Cela doit signifier en fait... que nous devons tous être solidaires de nos riches, à commencer par les plus pauvres d'entre nous. Voilà pourquoi Chirac dès cet été passe à l'action: CDD de 2 ans avec le «contrat nouvelles embauches», nouvelle baisse des cotisations patronales sur les bas salaires, stagnation des minima sociaux, sanctions contre les chômeurs qui n'acceptent pas n'importe quel travail pour n'importe quel salaire!