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- Lutte ouvrière n°1928
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Editorial
Dix ans après Srebrenica, où la France et l’ONU ont eu aussi du sang sur les mains
Il y a dix ans, le 11 juillet 1995, les milices serbes de Bosnie occupaient l'enclave musulmane de Srebrenica, que l'ONU avait pourtant proclamée «zone de sécurité». Le détachement hollandais des forces de l'ONU, chargé de protéger les populations civiles, ne fit pas le moindre geste pour défendre ces populations. Pire même, il aida les miliciens serbes à faire le tri entre les hommes et les femmes. Ces dernières et les jeunes enfants furent déplacés de force. Tous les hommes catalogués comme «Musulmans», dont certains avaient tout juste seize ans, qui étaient tombés entre les mains des milices serbes, furent massacrés dans les trois jours qui suivirent. Et les forces de l'ONU, qui assistèrent l'arme au pied à ce «nettoyage ethnique» qui fit des milliers de morts, étaient commandées par le général français Janvier, commandant en chef des forces de l'ONU concernées, qui ne fit rien pour éviter ces tueries.
Aujourd'hui, personne n'ose nier cette passivité des forces de l'ONU. Mais quand il s'agit de dire pourquoi les choses se sont passées ainsi, les commentateurs sont bien en peine d'expliquer comment des troupes, dont le rôle était en principe de protéger les populations civiles, ont laissé commettre cette ignominie. Et pour cause! On évoque un manque de réactivité, le fait de ne pas avoir utilisé le «droit d'ingérence». Mais ce sont des mensonges, car la première chose à dire est que les troupes de l'ONU, représentantes des grandes puissances, n'étaient absolument pas là pour des raisons humanitaires.
La Fédération yougoslave, née au cours de la Seconde Guerre mondiale, avait été le cadre où pendant des décennies Serbes, Croates, Bosniaques, Slovènes, Macédoniens, Kosovars, etc. avaient coexisté sans problème. Elle commença à se désagréger après la mort de Tito, parce que chacun des dirigeants régionaux préférait être le numéro un chez lui, plutôt que subordonné à un pouvoir central, et que tous s'employaient à spéculer sur le nationalisme, à prêcher la haine des peuples voisins, pour parvenir à leurs fins. Les grandes puissances européennes, loin de prendre position pour le maintien de cette fédération, s'empressèrent de reconnaître les nouveaux États qui voyaient le jour. Elles y voyaient le moyen de placer leurs pions, de s'assurer des marchés à travers cette reconnaissance.
Mais l'éclatement de la Fédération yougoslave entre les différentes républiques qui la composaient ne pouvait pas être une solution, tant dans cette partie des Balkans les nationalités sont imbriquées. À partir du moment où la Slovénie, la Croatie avaient vu reconnaître leur indépendance, pourquoi les Serbes de Bosnie ou de Croatie ne pourraient-ils pas revendiquer leur propre État? D'autant que là aussi les aspirants au pouvoir ne manquaient pas.
Toute la région fut donc déchirée par de multiples conflits armés. Et si les grandes puissances commencèrent alors à s'émouvoir et à envisager d'intervenir, ce n'est certainement pas pour des raisons humanitaires, comme le drame de Srebrenica devait le montrer, c'est parce que ces guerres n'étaient pas bonnes pour les affaires, et que ces grandes puissances ne voulaient pas voir se multiplier des pouvoirs locaux incontrôlés et incontrôlables.
C'est pourquoi les larmes versées aujourd'hui par les grands de ce monde sur les morts de Srebrenica sont d'hypocrites larmes de crocodile. Que les grandes puissances agissent sous le couvert de l'ONU comme en Bosnie, au Kosovo ou au Rwanda, ou qu'elles le fassent en se passant de sa caution, comme les USA en Irak... ou la France en Côte-d'Ivoire, c'est toujours pour défendre les intérêts de leurs industriels et de leurs banquiers. La protection des populations n'est invoquée que comme justification à l'usage du bon peuple.
«L'humanitaire» et le capitalisme, cela ne se marie pas ensemble!
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 11 juillet