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États-Unis : Procès d’un tueur raciste... quarante ans après les faits !
Lundi 13 juin s'est ouvert devant le tribunal de Philadelphia (Mississippi, dans le Sud) le procès d'Edgar Ray Killen, un ancien membre du Ku Klux Klan, pour un meurtre commis il y a plus de quarante ans, en 1964, contre trois jeunes militants antiracistes, James Chaney (21 ans), Michael Shwerner (24 ans) et Andy Goodman (20 ans). Ce crime avait inspiré un film à succès: Mississippi Burning d'Alan Parker, avec Gene Hackmann.
Le meurtrier, âgé aujourd'hui de 80 ans, et qui fut autrefois employé dans une scierie et aussi pasteur (à temps partiel!), a été inculpé en janvier dernier pour avoir organisé le meurtre de ces trois hommes, un Noir du Mississippi et deux étudiants, fils de bonnes familles new-yorkaises. Depuis quarante ans, il a échappé aux condamnations et vivait tranquillement à quelques kilomètres du lieu du crime.
En 1964, le mouvement noir pour les droits civiques, lancé en 1954-1955 contre la ségrégation raciale, était déjà depuis plus d'un an en pleine radicalisation. Les dirigeants traditionnels du mouvement, comme Martin Luther King, avaient désormais du mal à contenir les Noirs américains qui étaient «déjà dans la rue», selon l'expression d'un autre dirigeant modéré. L'émeute de Birmingham, en 1963, et son extension à d'autres villes obligèrent l'État américain à adopter la loi sur les droits civiques, début 1964. Sur le plan juridique, elle ne changeait que peu de choses au contenu des lois fédérales, mais sur le plan politique elle constituait une reconnaissance des changements que les Noirs américains avaient imposés à travers leurs différentes luttes.
Une large fraction du mouvement noir avait compris avant que cette décision ne soit prise qu'une loi n'était pas suffisante pour que son contenu s'impose. Et, dans le camp opposé, celui des racistes, on était bien décidé à ne rien céder et à tout faire pour maintenir l'ancienne situation. Le Ku Klux Klan, par exemple, fit sauter une église de Birmingham: quatre petites filles noirs y trouvèrent la mort.
Au cours de l'été 1964, des étudiants blancs et noirs du Nord décidèrent de se rendre dans le Mississippi pour aider les Noirs à s'inscrire sur les listes électorales, un droit qui leur était dénié depuis longtemps. Ce fut le Freedom Summer, l'été de la liberté. Chaney, Shwerner et Goodman en faisaient partie et furent assassinés par des militants locaux du Klan, parmi lesquels celui qui comparaît aujourd'hui. Ils ne furent pas les seuls victimes des racistes du Mississippi: une trentaine de Noirs furent également tués dans les huit premiers mois de l'année 1964.
Les trois jeunes assassinés se rendaient dans une ville voisine de Philadelphia, où une église noire avait été incendiée la veille, quand ils furent arrêtés le 21 juin 1964 sous le faux prétexte d'un excès de vitesse. Gardés plusieurs heures par la police, manifestement de mèche avec le Klan, ils furent relâchés dans la nuit pour tomber dans une embuscade tendue par des racistes du Klan et des policiers, qui les battirent puis les fusillèrent. Les agents fédéraux du FBI retrouvèrent leurs corps criblés de balles 44 jours plus tard.
L'accusé Killen reste égal à lui-même et affirme ne rien regretter de son crime, bien qu'il risque la peine de mort. Cette fois, il est le seul inculpé. À l'époque, une vingtaine de membres du Klan, dont Killen, avaient été interpellés. Sept seulement avaient été condamnés, en 1967, pour «violation des droits civiques» des trois assassinés, à des peines allant de 3 à 10 ans de prison, par un jury composé uniquement de Blancs. Killen avait été relâché, car une femme du jury avait refusé de condamner «un pasteur». En 1998 un des condamnés le mettait à nouveau en cause, ce qui a permis de rouvrir le dossier.
Killen n'est pas le premier raciste à se retrouver dans le box des accusés des années après les faits. En 1994, au cours d'un procès (le troisième!) tenu trente et un ans plus tard, l'assassin de Medgar Evers, responsable du mouvement noir NAACP dans le Mississippi, était condamné à la prison à vie. Lui non plus ne s'était pas repenti. Au total, depuis 1989, quelque vingt-deux procédures ont ainsi été engagées et seize anciens membres du Klan condamnés.
Il est bien significatif que ces procès arrivent si tard après les faits. Car si le mouvement noir, profond, massif, radical, a obligé l'État fédéral, dans les années soixante, à intervenir et à concéder quelques lois pour calmer un soulèvement qui pouvait finir par menacer les intérêts de la bourgeoisie américaine, la peur et la haine raciste qui gangrènent la société et l'appareil d'État, ses policiers, ses juges, ses militaires, ses politiciens, faisaient non seulement que les lois étaient bafouées mais que les agissements criminels des racistes étaient couverts.
Des dizaines d'années après, c'est encore un combat pour faire juger et condamner quelques assassins, pendant que beaucoup d'autres coulent des jours paisibles.