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- Lutte ouvrière n°1923
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Dans les entreprises
Mittal Steel - Gandrange (Moselle) : "La vue c'est la vie" ? Celle d'un ouvrier ne vaut pas cher
40000 euros d'amende pour Mittal Steel et l'entreprise sous-traitante Batinet, tel est le résultat du procès en correctionnelle suite à un accident du travail au cours duquel un ouvrier a perdu la vue. Les travailleurs présents à l'énoncé du jugement étaient scandalisés.
Les deux sociétés ainsi qu'un chef de chantier de Mittal Steel étaient poursuivis pour coups et blessures. Au procès, seul le chef de chantier était présent. Il était moins arrogant qu'à l'accoutumée et, pas de chance pour lui, il comparut tard le soir après tous les tire-laine et marchands de rêves illicites. Nous, nous avons tous blêmi quand nous avons vu notre camarade rentrer dans le prétoire: il était guidé par son frère car il est devenu aveugle après l'accident du travail qui s'est produit en avril 2004.
Pour faire de l'acier, il faut injecter de la chaux vive dans les fours. Cette chaux arrive par citernes et est stockée dans des silos. Selon les besoins, elle est injectée sous pression. Les tuyaux d'injection se bouchent parfois et il est fait appel à des sociétés sous-traitantes pour le nettoyage. Le jour de l'accident, deux travailleurs de la société Batinet sont là pour déboucher la conduite.
Ils n'ont jamais fait ce travail à cet endroit, mais il faut se presser et personne n'a de temps à perdre pour leur apprendre à travailler en sécurité. Pire même, le bouchon de chaux résistant, le chef de chantier s'énerve et demande de brancher l'air comprimé à l'autre bout de la conduite. Six bars de pression d'un côté et l'aspiration de l'autre: quand le bouchon cède, la chaux part comme un boulet de canon. Notre camarade qui se trouve sur la trajectoire prend la chaux en plein visage. Ses lunettes, son masque antipoussière et son casque sont arrachés. La chaux vive lui brûle les yeux et les muqueuses. La cornée étant atteinte, il perdra la vue.
Dans la sidérurgie comme partout, de très nombreuses sociétés travaillent en sous-traitance dans tous les corps de métier. Pour avoir les marchés, elles cassent les prix, se rattrapent sur le peu de qualification du personnel, pratiquant à leur tour une sous-traitance en cascade, quand elles ne créent pas elles-mêmes leurs propres entreprises d'intérim. Les travaux sans plans de prévention sérieux sont monnaie courante.
L'avocat de la victime a dénoncé également le chef de fabrication de Mittal qui s'est permis de donner des ordres à du personnel sous-traitant. Celui-ci plaide qu'il a juste donné un conseil! Comme si, quand un chef de fabrication s'adresse à des OS de sociétés extérieures, ses paroles n'étaient que de suaves conseils d'un père à ses fils!
Les avocats des directions se sont renvoyé les responsabilités mais ont éludé le fait que le blessé a été licencié quelques mois plus tard et vit, depuis, des allocations de chômage.
Le procureur de la République avait demandé des amendes de 100000 euros pour les deux entreprises et la prison avec sursis pour le chef de fabrication. Le verdict du tribunal, énoncé le 24 mai, est la relaxe pour le chef et une amende de 40000 euros pour les deux sociétés.
Beaucoup de travailleurs de l'aciérie trouvent que cela ne fait pas cher la perte de la vue et regrettent que la direction de Mittal Steel ne soit pas nommément mise en cause dans cet accident. C'est elle qui, en supprimant des emplois, en sous-traitant au plus bas les travaux et en poussant les cadences, est la principale responsable.